Alors que le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont une encyclopédie et ceux qui pratiquent Wikipédia, le Salon a offert hier matin une conférence réunissant divers acteurs de ces univers, pour faire le point. Au menu, Line Karoubi, directrice adjointe des la collection Larousse, Louis Lecomte, directeur éditorial d'Universalis, Alexandre Moatti, de Wikipédia France et Alain Rey rédacteur en chef de Robert.
La problématique que rencontrent actuellement les encyclopédies se heurte bien évidemment à la gratuité du modèle Wikipédia, s'appuyant sur des contributions bénévoles. Cette dernière attise les convoitises, mais se fait souvent tacler sur le registre de la fiabilité et de l'organisation, son système accumulatif ne permettant pas une réelle lecture encyclopédique, au sens où les professionnels papier l'entendent.
Notons que pour chacun des acteurs, un but de transmission du savoir, à travers une démocratisation de l'écrit reste l'objectif principal. Il faut « faire passer une information sous forme de texte », lance Alain Rey, qui dénie les concepts de virtuels ou dématérialisation, même quand on parle de numérique. « Comment parler de virtuel ? N'est virtuel que ce que je n'ai pas encore transformé en mouvement vocalique ou écrit ! » Et d'ajouter qu'à son sens, Diderot serait ravi de constater l'effort fourni par chacun pour offrir et diffuser le savoir.
Savoir ce que l'on veut faire
Pour Louis Lecomte, la problématique se divise en trois points : le projet intellectuel, partagé entre tous, et de tout temps, qui reste donc l'exposition des connaissances de l'humanité à un temps T. Viennent ensuite les moyens techniques et matériels de cette transmission, c'est là que les opinions et les choix se distinguent. Enfin, c'est la mise en oeuvre des savoirs qui prime, à savoir la part de direction éditoriale, la légitimité et la fiabilité des contenus, signés par des personnes compétentes ou reconnues comme telles.
Et cette nécessité d'assumer l'écrit serait un manque chez Wikipédia. « D'ailleurs, dans la Britannica, Freud avait signé l'article psychanalyse et Einstein celui sur la relativité », signale-t-il. « Oui, mais ils étaient peut-être en mesure de vulgariser », ajoute Alain Rey. Le maître mot est donc là, savoir transmettre. Et la délicate question des contributeurs de Wikipédia de rejaillir, en filigrane. « Une encyclopédie coûte un dollar par mot imprimé, poursuit M. Lecomte. Et sur ce dollar, une grande partie provient de ce que nous avons, à Universalis, 5.000 auteurs qui sont chargés de la rédaction. Des auteurs légitimes... » Et l'on reprocherait presque que Wikipédia soit basée sur un modèle gratuit...
Bénévole, un terme dans le vent
« L'encyclopédie en ligne, 8e site le plus consulté en France, comme dans d'autres pays, est une entreprise basée sur la confiance, commente M. Moatti. Wikipédia, c'est un engagement citoyen. Tout repose sur la confiance que l'on accorde aux personnes qui apportent leur pierre. » Certes, mais cela ne rassure pas pour autant. La peur de se retrouver avec des articles erronés sans modération inquiète tant les professionnels que le grand public.
Mais la dimension participative de Wikipédia fascine et Larousse semble se diriger vers une notion similaire, avec sa prochaine version de l'encyclopédie en ligne. Nous vous en reparlerons sous peu, c'est promis. Tout ce que l'on peut vous dire c'est que le site, en version bêta actuellement, proposera un article d'un côté, et de l'autre il sera agrémenté des interventions et ajouts des lecteurs-contributeurs, lesquels deviendront détenteurs de leur article.
L'encyclopédie de Diderot ? Un fatras, selon Voltaire
« Voltaire avait qualifié de fatras l'encyclopédie que Diderot avait réalisée, interviendra Alain Rey, pour conclure. Et nous offrons tous des éléments qui ont une certaine organisation. Reste à savoir quelle sera celle qu'il faudra privilégier pour demain, et non celle qui fonctionne aujourd'hui. Parce que dans ce cas, demain, elle ne sera plus en adéquation avec les besoins. »
Diderot aurait sûrement adoré les successeurs qui ont pris vie à la suite de son Encyclopédie, « oeuvre d'une société de gens de lettres ». Entre internet et les solutions CD/DVD, le rêve de Diderot se concrétise, mais ses héritiers se chamaillent pour des bouts de chiffons...