Il est des idées fumeuses, dont certaines n'auront heureusement pas la chance de laisser de traces. Celle de Jacques Attali, qui publie chez Fayard, Diderot, ou le bonheur de penser, évoque la possibilité de transférer les cendres du philosophe vers le Panthéon. Décidément très sollicité, l'établissement pourrait tout à fait accueillir lesdits vestiges. Un seul problème : ils n'existeraient plus...
Eh, toi ! Touche pas à mes cendres !
En effet, dans un entretien sur Europe1, Jacques Attali avait déclaré sa flamme et son admiration, poussant jusqu'à souhaiter que Denis Diderot retrouve ses frères des Lumières, Voltaire et Rousseau, au sein du Panthéon. « Il y a toute sa place, l'année prochaine c'est le tricentenaire de sa naissance. Et je vais essayer de faire en sorte de convaincre ceux qui doivent l'être que Diderot y aurait toute sa place. »
L'affaire allait donc être portée devant les plus hautes instances, pour que l'hommage dernier soit rendu. « Pour qu'il ne soit plus oublié de l'histoire. Car nous lui devons beaucoup. Il a pensé avant d'autres les droits de l'homme, l'unité de l'espèce humaine, la mondialisation », assurait-il au Point.
François Hollande, qui devrait être reconnaissant à Jacques Attali d'avoir oeuvré pour l'introduire auprès de François Mitterrand, a sauté sur l'occasion : le chef de l'État aurait réagi dans une lettre pour approuver le transfert et s'assurer que depuis l'église de Saint-Roch vers le Panthéon, les cendres soient transportées. Mieux : Érik Orsenna, qui cumule les mandats, serait responsable d'un comité de parrainage, qui décidera des modalités de ce déplacement.
Des cendres aux cendres et de la poussière à la poussière
Sauf que la chose ne sera pas si aisée : selon le Canard enchaîné, la tombe de Diderot, profanée durant la Révolution française, ne contient guère plus que de la poussière, mais des cendres, point. Un détail, que Jacques Attali avait balayé dans son ouvrage, rappelant simplement qu'avec celle de D'Hollbach, la tombe avait bien été pillée.
Pris de remords, ou de scrupules, ou d'un doute, il ajoutait toutefois, « Les restes de Diderot, qui ne sont sans doute plus sous la crypte de Saint-Roch, ont à l'évidence leur place au Panthéon. » Une affolante réflexion, probablement très raccord avec la philosophie de l'intéressé, dont Attali avait retenu :
Dans deux livres non publiés de son vivant : Jacques le fataliste et Le neveu de Rameau, il parle avec cet autre lui-même qu'il a créé et se réfute. Car penser, c'est aussi assumer que l'on est contradictoire.
La contradiction est pourtant grande : Arthur M; Wilson, biographe, écrivait dans un ouvrage de 1985, Diderot : sa vie et son oeuvre, que chercher les cendres revenait à chiner une aiguille dans une meule de foin. « On mit le corps de Diderot dans la chapelle de la Vierge. Il n'en reste plus de traces depuis longtemps. » Et un peu plus loin, toujours cité par le Canard, l'auteur ajoute : « Quand on construisit un conduit d'aération dans la crypte de la chapelle de la Vierge, en 1879, on ne trouva pas trace des restes de Diderot. »
Entre les cendres qui ne sont plus, et le portrait réalisé par Fragonard, qui ne serait plus officiellement celui de Diderot, mais une « figure de fantaisie », ainsi que Pierre Rosenberg l'a récemment dévoilé, on navigue dans un grand flou. Le tableau aura maintenant pour titre « Figure de fantaisie autrefois identifiée à tort comme Denis Diderot », et se trouve musée du Louvre de Lens depuis le 12 décembre. On se demanderait presque si tout cela n'est pas de la poudre aux yeux...
Le cas Césaire
Néanmoins, le débat n'a que peu de fonds : le Panthéon n'a pas nécessairement besoin de recevoir des cendres, un corps ou quoi que ce soit. Des soldats morts pour la France, ou encore des plaques commémoratives suffisent. On se souviendra qu'Aimé Césaire, au centre d'une polémique, aurait tout à fait trouvé sa place dans l'établissement, conformément à la volonté de Nicolas Sarkozy. Mais le président s'était rangé à la volonté du poète, qui avait demandé à ce que son corps reste en Martinique.
esagor, (CC BY-NC 2.0)
Ainsi, c'est une plaque qui devait attester de « la reconnaissance de la France dans son ensemble », un geste salué par SOS Racisme, avec une cérémonie qui s'était déroulée le 6 avril 2011. L'idée était bonne et « permettra de faire rentrer pleinement dans notre récit national ces pages sombres de notre Histoire », analysait l'association, alors que la France n'avait pas toujours eu une mémoire intègre sur « son passé esclavagiste et colonial ». En plus, une fresque commémorative, représentant quatre grandes périodes de sa vie, s'ajoutait à l'hommage français rendu à l'auteur.
Dans le cas de Diderot, un rameau suffirait-il ?
Pascal Monnet, administrateur du Panthéon, apporte d'ailleurs son éclairage. « Il n'est pas nécessaire que le corps soit déplacé, pour que l'on panthéonise un personnage. C'est avant tout un symbole dans certains cas, comme celui de Condorcet, qui possède son propre caveau, mais dont le corps n'a jamais été retrouvé. À ce titre, c'est plutôt un principe ou une idée que l'on transfert au Panthéon. »
En revanche, le cas de Césaire est un peu différent. « Il s'agissait d'une cérémonie nationale, mais l'on savait que le corps ne pourrait pas être déplacé, conformément aux volontés de l'auteur. La Cérémonie et la panthéonisation sont ainsi deux choses très différentes. Pour la pathéonisation, c'est un décret qui est publié, et il émane du président de la République, car seul lui peut le faire. C'est une fonction qui découle de son pouvoir régalien. »
Dans le cas de Diderot, donc, rien à rajouter.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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