« Je sais que vous avez été récemment souffrant. Vous avez diagnostiqué une sorte de gastro, accompagnée d’une légère fièvre. Pourquoi pas ? Seulement, le mal qui est à l’origine de votre inconfort n’est pas issu d’un phénomène accidentel. D’ailleurs, je peux vous assurer que votre comportement va se modifier. Peut-être l’avez-vous déjà constaté ? Certaines situations nous échappent. On peut parler de destin, de hasard. En ce qui vous concerne, vous n’êtes plus dans une situation aléatoire. Il faut absolument que je vous parle. Il en va de votre santé mentale. Je vous contacterai prochainement. »
Ce qui est fabuleux dans l’existence c’est justement l’imprévisible.
Je levai la tête suite à la lecture de ce Mail et je me mis à scruter les gens autour de moi. Rien de particulier dans le wagon du métro, ligne numéro 12, qui me menait au boulot. Tout le monde faisait la gueule dans cette odeur très particulière, propre à la R.A.T.P. J’étais assis sur un strapontin face à une jeune femme qui avait surgi de nulle part. Elle n’était pas particulièrement jolie, hormis ses jambes pudiquement croisées qui laissaient la porte ouverte au phantasme. Lisses, galbées, fermes. C’est fou, ce que sa jupe était mini. Ou alors, c’est moi qui étais follement imaginatif. Elle lisait une revue d’un air absent en faisant bouger son pied, celui qui était en suspension.
Son escarpin glissa doucement restant accroché juste sur la pointe des orteils.
Ouche, ouah, j’étais vraiment en apesanteur. Bref, les stations défilaient sans surprise. Il n’y avait pas beaucoup de monde. Normal à dix heures, ce n’était plus le stress, rien de remarquable. La fille décroisa les jambes, trop vite à mon goût, se leva et descendit en se déhanchant lascivement, juste ce qu’il faut pour me faire regretter de ne pas la suivre. Les portes se refermèrent et je la vis s’éloigner sur le quai. On repartit dans un tunnel.
Maintenant, j’avais donc tout le loisir d’analyser ce truc qui avait fait vibrer mon téléphone. Spontanément, je pensai à un Spam. Nouvelle version. Nouvelle méthode d’accroche du consommateur. Je relus donc le texte à la recherche d’un produit dérivé.
Un médicament ? Une cure de vitamines ? Un centre de thalasso ? Un truc qui pourrait me soutirer quelques centaines d’euros. A la deuxième lecture, rien de plus manifeste, à tel point, que je faillis louper ma station. Je plongeai littéralement hors du wagon.
La rame se remit en route et j’eus le sentiment que tout le monde sur le quai me regardait. C’est vrai que j’avais bondi violemment, mais là, ils avaient l’air hébétés comme si je venais de battre le record du monde du ‘Dégagé de wagon en un seul saut’. Je n’avais même pas effleuré l’une des portes. Un véritable athlète. Ça m’a fait plaisir. Du coup, comme j’étais en retard, j’ai accéléré le pas. Puis j’ai gravi rapidement l’interminable escalier qui menait à la sortie, doublant le commun des mortels agglutiné dans l’escalator.
Arrivé dans la rue, comme je n’étais même pas essoufflé, j’ai commencé à courir. J’avais à peine dix minutes pour faire le parcours qui habituellement me prenait un bon petit quart d’heure. Aussi incroyable que cela puisse paraître je zigzaguais sur le trottoir en souriant.
J’éprouvais une sensation de liberté, de puissance, d’énergie insoupçonnée. À croire que je pouvais courir un marathon. Je ne ressentais aucune gêne. Rien. Ni musculaire, ni pulmonaire. Un vrai régal. En un peu moins de dix minutes, j‘étais devant l’immeuble du journal.
D’un coup d’épaule, j’ouvris violemment la porte du hall et je courus jusqu’à l’ascenseur.
Le vigile de l’entrée me regarda comme si j’avais fracturé le sas vitré.
Je lui balançai donc un petit signe de courtoisie. Étant donné sa carrure, il me semblait nécessaire de rester amical d’autant qu’il se dirigea vers moi.
- Je suis en retard dis-je modestement.
- Je vous ai vu depuis le bas de la rue. Je ne savais pas que vous faisiez du sport ?
- Pardon ?
- Je suis marathonien, c’est pour ça que je reconnais facilement un bon coureur.
- Ah oui ?
Le type commençait à me dire qu’on pourrait monter une équipe, et même qu’on pourrait s’entraîner ensemble.
Quand les portes se furent refermées, je soufflai de soulagement, mais en me voyant dans le miroir du fond, j’eus l’impression de découvrir un autre type. J’avais l’air frais, même pas de sueur. Impeccable, resplendissant. Teint clair. Alors que je venais de me taper un cinq cents mètres. Même pas mal !!! « Grosse patate » pensai-je en entrant sur le plateau.
Je fonçai vers mon poste de travail, j’avais rendez-vous avec le boss dans cent vingt secondes, lorsque j’aperçus, assise en face de mon bureau une jeune femme de dos.
Belle chevelure blonde, troublante cambrure. Je fis un signe aux autres qui bossaient sur leurs ordis et seul mon pote Sam m’adressa un clin d’oeil, le pouce en l’air.
- Bonjour, j’ai dit en allumant machinalement mon écran.
Puis, lui faisant face, je la découvris. Je faillis pousser un « Nom de Dieu » , mais je lui adressai blasé, un petit rictus de bienvenue comme si j’avais l’habitude de travailler avec des mannequins.
- Bonjour, comment allez-vous ? me rétorqua-t-elle d’une voix aussi sensuelle que le reste de sa personne.
- Super forme, merci. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? Je pris le dossier dans le tiroir, sans m’asseoir, car je redoutais l’arrivée tonitruante de mon patron qui ne supportait pas le retard.
- C’est moi qui vous ai envoyé un mail.
- C’est à dire ?
- Le truc bizarre que vous avez lu tout à l’heure. C’est moi qui vous l’ai envoyé.
- Ah, quand même. Ecoutez, j’ai rendez-vous avec mon patron dans deux petites secondes. Est-ce qu’on peut se voir après ? Elle se leva.
- Je vous attends au bar d’en face. À tout de suite, me dit-elle en s’éloignant vers les ascenseurs.
Ainsi, sans autre réflexion, je me précipitai à toute allure chez mon chef. Je frappai à la porte à 10 h 15, précises. J’entendis le fameux ‘C’est ouvert’ et je pénétrai dans l’antre du fauve. En refermant délicatement la porte, je ne pus m’empêcher de fantasmer sur la belle inconnue qui allait bouleverser mon existence.
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