Afin que ce roman conserve son appellation de , certains détails et sensations de lecture seront omis sans pour autant sombrer dans l'à peu près ou une présentation partielle de l'histoire. Qui sait d'ailleurs, si l'interprétation personnelle de ce roman est la seule légitime ? Si la version finale proposée par les auteurs (médecins d'origine), certes convaincante, est sans appel, irréfutable ?
Une affaire de point de vue probablement qui rappelle combien la frontière entre folie et normalité n'a pas toujours de limites clairement définies, oscille sans arrêt et sème le trouble dans nos repères.
Aussi, soyez prêt, ce livre risque de vous déranger, de vous perturber, voire de vous effrayer en vous ôtant toute maîtrise sur les personnages mais se montre aussi capable, simultanément, d'apaiser votre malaise grâce à une écriture sensible mais sans excès, très visuelle, aux ambiances souvent colorées de villes du Sud. « La lumière et le paradis. Des cris d'oiseaux, des arbres de toutes essences, des fleurs par brassées, un foisonnement inouï. »Une douceur des mots pour exprimer la violence des actes, sans autre effet que celui de lier le lecteur aux deux sœurs, aussi intensément qu'elles le sont entre elles et de lui offrir une lecture sans temps mort, séduisante et haletante. Un bel équilibre pour un texte écrit à quatre mains.
Marie et Sophie sont encore enfants lorsque leur père meurt brutalement d'une allergie à un médicament. « La mort de papa changea tout, il était notre Dieu. » Confrontées pour la 1ère fois à la mort, elles font face en se rapprochant l'une de l'autre, l'une soulageant l'autre et inversement. Confidentes et complices. Une relation fusionnelle s'installe, les éloignant chaque jour davantage de leur mère. « Ma douleur est plus belle que ta retenue, maman. »
Tour à tour, sous forme de roman choral, l'une et l'autre s'expriment, confrontent leur douleur et leur peine, puis grandissent avec le poids de cette perte, comme impossible à guérir. Emmenées par leur mère dans un pays étranger, le Maroc, chacune tente d'effacer le chagrin, de se reconstruire. « Papa était moins lourd dans ma tête ». L'arrivée d'Antoine dans la vie de leur mère, renforce leur fragilité, sème le trouble, ne permet pas à la famille de se recomposer sereinement. Une distance semble nécessaire. Les années passent.
En souvenir de cette mort, l'une, Marie, la plus jeune, devient thanatopractrice et l'autre, Sophie, anesthésiste. Deux carrières parallèles intimement liées à la mort du père, qu'elles semblent mener avec ardeur et passion. « Tu t'occuperas des vivants, je m'occuperai des morts, nous serons de part et d'autre de la fracture. »
Jusqu'au jour où un incident professionnel affecte profondément Sophie. L'alternance de leur parcours qui faisait écho d'un chapitre à l'autre, tout en mesure, avec une rigueur imperturbable devient soudainement moins évidente, plus confuse. Les voix semblent alors s'emmêler, fusionner et ces vies parallèles apparaissent moins distinctes, se troublent progressivement et emportent avec elles, le tourment du lecteur.
Mais qui est qui ? Un malaise l'étreint peu à peu ; il redoute le drame, sent la fêlure de Sophie, impuissant et mal à l'aise face aux troubles psychotiques (désormais évidents) de la jeune femme.
Démuni alors, il se range à l'avis des médecins, assiste à l'effondrement psychologique de Sophie, passe d'instants colorés et nuancés à des moments de gris où le bonheur a fui. Anxiolytiques, neuroleptiques et autres camisoles chimiques pour atténuer la souffrance, les délires, endormir sa peine.
Un roman vraiment troublant, qui progressivement dérive vers la folie sans jamais pourtant se détacher complètement de la réalité et de la normalité, conduisant le lecteur vers une issue qu'il n'a pas vraiment vu venir. Si l'étrangeté des comportements, l'hypersensibilité des personnages l'avaient perturbé, ici ou là, la fin (très explicite) ne laisse plus de doutes et l'abasourdit.
Dérangeant mais terriblement efficace.