L'aventure d'un Allemand perdu dans un monde trop oppressant, alors que lui-même s'avère trop exigeant. La vie dans notre modernité est un calvaire : tout tend à nous épuiser. Comme aurait dit le poète « Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé » : il ne manquerait parfois plus que le trait de la mort - et encore, peut-être a-t-il déjà frappé. Sans que nous ne nous en soyons rendu compte...
Le livre de Genazino n'est pas porté sur une philosophie remettant en cause la possible irréalité de nos existences. En revanche, il interroge la vie de cet homme, architecte, empêtré dans une vie, un corps, et des impressions. Entre la vie publique, l'achat d'une salade chez un boucher, et l'intimité d'un couple, où le morose le dispute à l'écrasante présence de l'autre, ses manies et son incidence...
Le monde de Genazino est lourdement réaliste, écrasant à sa manière aussi, reflet dans toute sa complexité de notre paysage social, et de la prison qu'il représente. L'architecte n'est pourtant ni complexe, ni fascinant : humain, trop humain, probablement. Face à son environnement, il agit aussi bien qu'il le peut, avec ses difficultés, son image et la gestion à ses propres yeux, de ce qu'il peut être dans le monde. In Der Welt Sein, avez-vous dit ?
Un désespoir existentiel, accompagné d'un décorticage très médical des fonctions corporelles qui nous guident... le tout est plongé dans les sombres profondeurs d'une psychè agitée. Il pénétrera dans un univers plus anti-héroique encore, peu après le décès d'une sorte d'ami, forme douce de pervers narcissique. Ce dernier profitait d'une carte d'identité trouvée pour se faire livrer des colis. Évidemment, une mauvaise idée.
Intéressante approche de la vie allemande, et surtout prise avec un angle tout particulier. Wenn wir Tiere wären, de son titre orignal, est étrangement traduit par cette petite lumière dans le frigo, qui prend tout son sens, en effet.... Mais c'est pourtant là que le titre allemand a quelque chose de plus frappant : si nous étions des animaux, toutes ces questions n'auraient pas lieu d'être. Une vie de simplicité, certes un brin bestiale, vivre, manger, survivre, lutter, mais sans l'encombrant package de questionnements.
Pour supporter le quotidien, il faut probablement s'en désinvestir, et se résoudre à ce que rien ne puisse changer, ni évoluer, autrement que selon le cours du temps. Achever sa course dans une prison, et y être exploité pour travailler, encore, bien qu'autrement, cela ne présage jamais rien de bon. C'est une grande langueur, une lassitude existentielle qui ressort de ce livre : on est saisi d'une fatigue du monde rarement ressentie.
Une sorte d'aventure inutile de plus, qui se partage, cherchant un malaise pour rallier malgré tout le lecteur.
Genazino a déjà été qualifié d'avocat des petites choses, ou de prophète de brillants malheurs : son dernier livre est une pierre supplémentaire dans un édifice, peignant une grande dépression. Pas de réelle substance ni de consistance, avec dans l'idée que l'on est toujours le philistin d'un autre.
Son narrateur-je-protagoniste est en proie à une douleur intérieure, qu'il ne surmonte qu'avec l'aide des seins vus d'une femme.
Peut-être est-ce l'une des plus grandes philosophies que l'on pourrait retenir, ou bien est-ce là la marque d'un penseur que l'on ne reconnaîtra que dans quelques années. La modernité, c'est le moment où l'on dit «je» ; le lendemain, il faut recommencer. On peut comprendre que cela soit épuisant...