Roman sentimental dans sa définition la plus noble, le livre de Joan London (traduit par Alice Seelow) offre au lecteur une évasion pure, un moment intemporel où il échappe à toute effervescence, toute agitation. Il est ailleurs, sensiblement troublé, captif d'une écriture délicate, en communion avec un environnement finement décrit, réceptif à la mélancolie romantique, attaché à la grâce, à la fragilité et à la jeunesse des personnages et intrigué également par l'épidémie méconnue de poliomyélite qui fit des ravages en Australie dans les années 50, juste avant la mise au point du premier vaccin.
"La polio est comme l'amour […] Quand on pense qu'on s'en est totalement remis, ça revient."
Interpellé à la fois par le caractère historique du récit et sa force émotive, inscrit facilement dans une narration fluide, qui, si elle reste centrée sur deux héros, parvient avec habileté à donner une réelle présence aux personnages secondaires, le lecteur trouve simplement sa place, agréable et ravi.
Par plusieurs courts chapitres initiaux, un rythme alerte qui évite toute tonalité tragique, Joan London, écrit l'histoire (pourtant cruelle à bien des égards) à travers une ambiance poétique, une proximité avec la nature, apaisantes et douces, (maintenues d'ailleurs page après page) d'un équilibre réjouissant. Et le succès du livre naît indéniablement de cette écriture sensible.
Elsa et Frank sont les victimes malheureuses de l'épidémie de poliomyélite qui touche l'Australie dans les années 50. Adolescents tous les deux, ils se rencontrent dans une maison de convalescence, l'Age d'Or. Frank est un émigré juif hongrois, arrivé avec ses parents, Ida et Meyer en 1947 après avoir rêvé d'Amérique. Ici chacun survit à la guerre, à sa façon.
Elsa est l'aînée d'une famille modeste dont la mère, pourtant aimante, n'a pas toujours bien su s'en occuper. Dans cet hôpital encadré par un personnel bienveillant, les enfants sont préservés dans un environnement clos et échappent aux regards de leur famille et de la société entière. Vivent et aiment sans se soucier des règles ou des convenances. Intensément libres.
"Elle était son havre, son éternel retour. Son parc, sa rivière, son chemin. Rien que le fait d'être séparé d'elle pendant une journée le rendait triste. Il savait maintenant que tout ce qui lui était arrivé jusqu'ici dans sa vie l'avait conduit jusqu'à elle."
De cette relation exclusive ("un club constitué de deux seuls membres"), naît le goût de la vie, malgré la souffrance des corps et la possibilité d'être, de se construire une identité autre que celle que la maladie impose.
"La polio avait paralysé ses jambes, pâli son visage et creusé ses joues. Néanmoins, elle l'avait d'une certaine façon, révélée à elle-même […] Avant, je sentais que ma place était dans le monde, pensa Elsa. Maintenant elle est avec Frank".
De toute évidence, le style, l'attention portée à la nature qui environne et façonne les personnages, l'évocation du passé, de l'exil, les bribes de vie intimes dévoilées de certains personnage secondaires, la poésie, indispensable à Frank et à travers laquelle il exprime ses sentiments les plus indicibles, créent la beauté du texte, fortifient l'histoire d'amour et l'éloignent de toute mièvrerie, facilité ou fadeur.