On l'attendait depuis un long moment, la solution numérique légale développée par les éditeurs japonais de manga pour combattre le scantrad. Elle a été annoncée sous le nom de J-Manga et devait être structurée par l'équipe de Crunchyroll. Un gage de qualité quand on voit l'offre légale très intéressante que l'éditeur a développée pour les animes. Comme prévu J-Manga a bien été lancé mercredi 17 août 2011 et ce uniquement pour l'Amérique du nord.Le site propose actuellement 48 titres à l'achat, avec des « free preview » (pour découvrir les premières pages des premiers chapitres) et liste 120 autres titres qui ne sont pas encore disponibles à l'achat mais devraient l'être sous peu (on peut retrouver la liste de tous les titres et la liste des titres disponibles sur Anime News Network). La DCA (ou Digital Comics Association), le regroupement des éditeurs japonais pour faire face aux problèmes du numérique) envisage de rajouter du contenu sur J-Manga tous les mardis pour que le catalogue passe « à quelques milliers de titres durant l'année prochaine et à 10 000 [titres] en 2013 ».
Du contenu exclusif et des titres inédits
Et la très bonne nouvelle c'est que ce catalogue n'est pas constitué que de titres déjà édités aux Etats-Unis. En effet, on retrouve déjà plusieurs titres comme Macross Frontier, Soredemo machi ha mawatteiru, ou encore Syndrome 1866 qui sont complétement inédits outre-Atlantique. Pour l'heure, les éditeurs japonais ne semblent pas avoir voulu mettre en place sur J-Manga des sorties simultanées avec le Japon de leurs titres. C'est bien dommage car c'est ce qui fait (avec la gratuité) la popularité des scantrads.
D'autre part, le site propose (ou proposera) : des fiches séries, des interviews de mangaka (spécialement créées pour des lecteurs étrangers et pourquoi pas avec leurs questions), des reportages sur la culture japonaise, des actus sur les sorties de manga et sur l'univers manga en général, la création d'outils communautaires, et devrait lancer des concours pour repérer les jeunes talents (dessinateurs, animateurs, chroniqueurs, traducteurs...).
Les internautes qui se seront inscrits en tant que membres de J-Manga pourront aussi lire gratuitement toutes les semaines le Jweekly. Il s'agit d'un magazine hebdomadaire dans lequel on retrouvera des chapitres de trois des titres recommandés par l'équipe rédactionnelle et des chapitres de trois nouveaux titres.
J-Manga n'est pas accessible depuis l'Europe. Si on tente de se rendre sur le site on tombe sur une page qui nous explique gentiment (en anglais) qu'il est réservé à une audience nord-américaine, mais que dans un avenir indéfini J-Manga devrait être développé pour le monde entier.
Une offre internationale de manga numériques créée par les Japonais avec du contenu exclusif et des titres inédits. Sur le papier ça sonne bien, et l'on se dit que les éditeurs français vont avoir fort à faire s'ils veulent eux aussi se placer sur le marché numérique. Seulement, la solution J-Manga telle qu'elle est proposée actuellement est loin d'être parfaite. Et ne comble pas toutes les attentes des amateurs de manga.
En fait, J-Manga est une grosse, mais alors très grosse déception.
À la mesure de l'attente...
Hormis le catalogue un peu léger et les quelques problèmes d'accessibilité depuis le Canada au lancement, le gros problème de J-Manga vient du modèle économique choisi. En effet, J-Manga propose un système lourd, voire complexe, pas économique du tout, dans un environnement fermé, bref pas attrayant pour deux sous.
Les manga proposés par J-Manga peuvent être achetés par tome ou par chapitre pour une certaine valeur en « points ». Les tomes coûtent en moyenne 899 points et les chapitres entre 120 et 230 points. Les points peuvent être achetés uniquement par carte bancaire pour l'instant et à condition d'être inscrit en tant que membre.
Selon notre source outre-Atlantique, il n'est pas possible d'acheter des points sans avoir souscrit à un abonnement mensuel de 10 $ par mois (environ 7 €). Cet abonnement permet de recevoir tous les mois 1000 points (plus, durant l'offre de lancement, 500 points lors de la souscription et 50 points tous les mois) et ouvre droit à acheter des points supplémentaires quand on le désire.
Le site J-Manga n'explique pas clairement si les points ne peuvent être achetés que par ceux qui auront souscrit à un abonnement ou s'il sera possible d'en acheter directement. Si on fait un rapide calcul, 1 000 points = 10 $ donc 100 points = 1 $. Ainsi, le prix moyen d'un tome est de 899 points soit 8,99 $ (environ 6 €), ce qui est quasiment l'équivalent du prix d'un manga en version imprimée. On précisera aussi que la publicité est assez présente sur le site.
D'autre part, un tome (ou un chapitre) acheté ne sera pas téléchargeable mais glissé dans une bibliothèque virtuelle accessible uniquement via le site. Les lectures off-line ne sont donc pas possibles. Même si J-Manga promet d'être bientôt disponible sur des dispositifs portables (smartphones, tablettes) ça reste un gros handicap. On notera aussi que J-Manga se réserve le droit de détruire un compte (ce qui implique forcement la perte des oeuvres achetées) en cas d'utilisation du site ou du service « embarrassante ». Très vague et peu rassurant...
Un modèle économique selon la loi de Murphy
Finalement, c'est comme si au niveau du modèle économique J-Manga avait décidé de montrer le contre-exemple absolu et avait opté pour toutes les plus mauvaises solutions possibles (une nouvelle illustration de la loi de Murphy ?). Système d'achat complexe, peu rassurant où l'on ne possède pas l'objet acheté, et prix vraiment trop élevé. Les réactions des amateurs nord-américains de manga ne se sont pas fait attendre et sont sans appel. J-Manga était une bonne idée, la volonté de soutenir l'industrie est là, mais la solution n'intéresse pas.
Ils auraient préféré soit un système permettant de télécharger soit un abonnement mensuel plus élevé, mais permettant de lire tous les titres que l'on désire (système mis en place notamment par Crunchyroll pour les animes). Quant au prix, tous les critiquent : certains font le parallèle avec les éditeurs de comics qui proposent des titres numériques à moitié prix. D'autres indiquent que sur Amazon ils paieront moins cher pour un manga imprimé (qui ne risque pas de disparaître sur un coup de tête).
Méconnaissance flagrante du lectorat
Étonnamment, les éditeurs qui participent à J-Manga ne semblent pas connaître leurs lecteurs, en grande partie collectionneurs (et très friands de l'objet), gros lecteurs et très impatients de lire les nouveautés.
Dans ce cas-là, proposer une solution numérique plus chère ou au même prix que la version papier ne pas fonctionner. Proposer une solution numérique qui limite l'appétit de lecture avec une formule d'achat à l'unité (et à prix élevé) ne peut pas fonctionner non plus. Et ne pas rendre possible la collection (avec assurance de conservation) des titres numériques n'est pas non plus une bonne chose.
J-Manga a donc commis trois erreurs fondamentales qui devront être très vite rectifiées pour la viabilité du projet. En attendant, les teams de scantrad ont encore de beaux jours devant eux, elles ne manqueront pas d'audience. Quant aux éditeurs français qui réfléchissent à leurs solutions numériques, on espère qu'ils s'inspireront de J-Manga pour ne pas répéter les mêmes erreurs.
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