Thérapie des dysfonctionnements fasciaux (TDF)

Les souvenirs de deux amis, qui ont trop tôt quitté l’auteur. « Celui qui vit dans la mémoire de ceux qui restent, ne meurt jamais », promet le dicton. Emanuele Trevi l’illustre de manière sublime. Les disparus n’existent pas pour simplement conter leur existence et leurs actes : Deux vies les raconte simplement, pour paraphraser Montaigne, « parce que c’était eux ».

Pia Pera et Rocco Carbone et Emanuele Trevi : trois amis, deux vies et une histoire, dans un récit qui fut salué par le Prix Strega 2021 (équivalent du Goncourt en France).

Pia, sublime et presque éthérée, Rocco, renfrogné et bourru. Deux personnalités magiques – si différentes, pourtant, mais complémentaires, diablement.

A travers eux, Trevi nous fait parcourir dans un splendide voyage la littérature – ou bien est-ce une aventure littéraire qui se déroule ? Deux auteurs d’exception, qui étaient promis à un avenir fantastique, s’ils n’avaient pas quitté si tôt ce monde. Des existences fulgurantes.

La splendeur d’un saxophone n’a pas de commune mesure : le mouvement qui associe l’instrument au musicien dévoile une complicité qui confine à la symbiose. Erik Dieter, saxophoniste précoce et génial, aura délaissé la musique pour enseigner, écrire ou la raconter. La faute à une famille qu’il a fui, pour se sauver.

Mais à la mort de sa mère, le retour dans la maison d’enfance s’accompagne de fantômes et de souvenirs… jusqu’à tomber sur une étrange photographie. Celle d’un homme, saxophone en main, relique précieusement conservée dans les affaires maternelles – et autrefois interdites.

Un mystère qui bouleverse Erik plus encore que la perte de cette mère… Qui était-ce, quels étaient ses liens avec elle.

Et pourquoi cet instrument ? Un questionnement qui vire à l’obsession, dans un roman graphique où l’horreur prend toute sa place.

Comme si la blue note avait des accents destructeurs…

Dans un futur où il est possible de voyager dans le temps pour revivre les grands faits du passé, le mystère de la chambre close est réinventé au cœur d’un palace. Face à une scène de crime qu’elle est la seule à voir, January Cole, responsable de la sécurité de l’hôtel, devra démêler les affres d’un complot.

Rob Hart revient avec un second roman en français Paradox Hotel, un polar à enquête. Un véritable thriller d’anticipation avec une touche de SF qui transporte le lecteur par delà les limites du temps.

Porté par une écriture caustique et un personnage principal que l’on adorera détester, le récit se permet une critique acerbe des ultras riches et d’une certaine forme de capitalisme.

Un soupçon de Westworld, une pincée de Fantasy Island, sans oublier une ambiance qui n’est pas sans rappeler Jurassic Park, cette satire féroce couvre une réflexion profonde sur un monde qui nous attend peut être…

#PrixFrontieres23 – 1943, en Albanie, Alexo erre. Il subit un périple compliqué et douloureux à cause de la guerre. Il n'a plus rien et est donc obligé d'aller de l'autre côté : en Grèce. Un voyage qui s'annonce difficile : pauvreté et mendicité sont les mots (maux...) principaux.

1943, en Albanie, Sofia, la sœur d'Alexo, est coincée. Elle ne peut pas traverser la frontière et se retrouve prisonnière dans un pays, complètement seule et touchant du bout des doigts ce village grec. Tellement proche de celui-ci, elle peut voir sa mère et entendre les cloches qui tintent. Mais on ne la laissera pas passer.

1990, Shpejtim, petit fils de Sofia, décide de quitter l'Albanie pour la Grèce. En allant dans le village de ses ancêtres, il est accueilli chaleureusement par les Albanais immigrés, mais il se rend vite compte que ce pays est bien différent de ce dont il s'imaginait.

Kometa, c'est le nom de la nouvelle revue trimestrielle qui éclaire le monde qui se trouve à l'est (de l'Allemagne jusqu'à Taïwan en passant par la Géorgie et Beyrouth). Dans le premier numéro, intitulé Impérialisme, on était plongés dans les jeux d'influences qui façonnent l'Europe Centrale et de l'Est.

On y trouvait par exemple un texte tout en lucidité de Kundera, extrait d'Un Occident kidnappé. Le deuxième volume s'appelle Liaisons dangereuses et explore les relations sentimentales (amoureuses, mais pas que) de ce côté du globe. Il nous est notamment montré ce que c'est que de se marier avec un jeune soldat ukrainien en pleine guerre.

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Les images sont toutes choisies avec soin, les mots aussi, puisque Kometa invite certains des meilleurs photographes, journalistes, écrivains et poètes de cet Est dont on ne sait finalement que trop peu de choses.

PrixFrontieres2024 – Un homme efface toute trace de son passé, y compris son nom, pour recommencer sa vie. Avec 168 548 dollars cachés dans sa voiture, il fuit vers une ville inconnue pour vivre une vie plus simple, loin des privilèges qui ont façonné son identité. Il loue un studio auprès d'une femme étrange nommée Autumn, mais chacune de leurs rencontres est marquée par une méfiance mutuelle.

L'argent s'épuise peu à peu, comme un sablier qui s'écoule. Sugar Street peut être lu comme une réécriture urbaine de Walden de Thoreau, réfléchissant sur le monde moderne et ses dérives. Le narrateur anonyme est en fuite, cherchant à disparaître complètement pour vivre dans la peau de quelqu'un d'autre. Cependant, même en vivant sous une fausse identité et en évitant les technologies de suivi, il est difficile d'échapper au réseau de relations sociales.

Chaque interaction est potentiellement dangereuse pour le narrateur, créant une tension paranoïaque qui monte lentement à mesure que son argent diminue.

Poucette, ainsi appelée du fait de sa taille mène une vie paisible dans la forêt et plus particulièrement dans la fleur qui lui sert de maison. Mais un jour elle se fait enlever par une méchante grenouille qui veut la marier à son fils. C'est le point de départ d'extraordinaires aventures et peut-être qui sait l'occasion de parcourir le monde et de rencontrer l'amour et l'amitié.

On en présente plus ce célèbre conte de Hans Christian Andersen, ou les aventures d'une fillette moins haute que trois pommes.

Les éditions des 400 coups sortent donc une nouvelle adaptation de ce récit. Le texte y reste assez fidèle à l'original et c'est, il faut l'avouer, toujours un délice d'innocence et de féerie. Notons toutefois que la narratrice, Lucy M. George laisse sa marque sur l'histoire en la modernisant et en lui apportant une touche d'humour. Quant aux dessins de Rachel Swirles, ils sont tout simplement délicieux. Colorés, pleins de douceurs et amusants, ils réjouiront les plus petits et les plus grands.

Archi, l'ours de cette histoire, est plus que ravi: la neige tombe ! Il resterait bien des heures à regarder virevolter les flocons, mais il fait déjà nuit et il faut se coucher. Qu'à cela ne tienne: il trouvera le sommeil, tant bien que mal, en rêvant à tout ce qu'il fera le lendemain.

En effet, il a de grands projets de sculpture sur neige ! Mais cette dernière est capricieuse: elle va, elle vient, elle fond... Adieu veaux, vaches et autre igloo... Ce n'est que partie remise: bientôt, elle reviendra, c'est certain, et se laissera modeler en un tournemain !

Voilà un livre bien mignon, et presque de saison ! Grâce au texte doux et chaleureux de , nous redoutons moins l'arrivée du froid ! Les illustrations atypiques de participent grandement à cette sensation, notamment grâce à l'usage d'une quadrichromie intéressante présente dans quasi tout l'album.

Joyeuse neige ! rappellera à chacun la joie et l'enthousiasme hivernaux, petit ou grand.  À lire en famille, bien au chaud, après ou avant une belle bataille de boule de neige !

Amateurs de dinosaures, oubliez les effets spéciaux de Spielberg et entrez dans la poésie malicieuse de Bastien Contraire !

Avec "Dinosaures", édité par La Partie, vous apprendrez, un peu à la manière d'une visite guidée dans un muséum d'histoire naturelle, que le protocératops est un peu plus grand qu'un mouton, que le diplodocus est plus long que deux bus etc. etc.

Surtout, vous plongerez dans les belles planches de Bastien Contraire qui, contrastant avec les illustrations anatomiques et réalistes de ce genre de livres, déploient des jeux de formes et de couleurs particulièrement stimulants qui confèrent toute la saveur de ce précieux album.

De plus, si l'on y pense bien, l'usage de la technique du pochoir, familière de l'auteur, entre en écho avec le propos du livre car l'image apparaît à travers les découpes du papier ou, pour le dire autrement, la peinture révèle et incarne les formes disparues.

Dinosaures est un livre plein d'esprit qui ravira autant les passionés de créatures préhistoriques que les esthètes un peu curieux.

Imaginez pouvoir vivre dans une gigantesque maison ! Trois cuisines, quatorze bibliothèques et quatre-vingts salles de jeux ! Ce serait plutôt sympathique. Sauf si vous y rencontrez le diable. Dans ce cas, cela devient problématique... Voici ce qui arrive à un bonhomme vivant dans une immense demeure. « C'est un monde ! » s'écrit-il à chaque fois que le diable apparaît. Et les phénomènes qui se produisent dans sa maison sont de plus en plus étranges. Ce sont même de véritables catastrophes ! À moins qu'ils ne soient la solution pour s'ouvrir, enfin, au monde.

Avec de subtils collages et superpositions de matière, crée un album riche de sens et d'interprétations. Les illustrations regorgent de détails et, comme l'histoire, elles partent dans différentes directions. Coup de crayon sur la page du texte, inversion des pages, phrase tarabiscotée : tout dans cet album symbolise l'anarchie... pourtant bien maîtrisée par l'auteur-illustrateur. Et quelle récompense, à la fin, de comprendre le titre entier ! Avec C'est un monde, vous partirez loin. Qui sait si vous reviendrez ?

Déborah Durand

Sorti début novembre, voici un personnage inattendu, dont l’entrée dans le monde du livre restera dans les annales, évidemment. Avec près de 30.000 exemplaires vendus (et ça continue à un rythme particulièrement soutenu !), l’histoire de ce suppositoire, personne n’aurait parié dessus.

Et pourtant ! Réunissant une fine équipe belge, entre Alex Vizorek et Caroline Allan pour le scénario et des illustrations de Karo Pauwels, voici un ouvrage jeunesse, à recommander hautement aux adultes qui ont gardé un esprit d’enfant — ou plus simplement, toute personne avec un peu d’humour.

La destinée funeste d’un suppositoire ne laisse que peu de place à l’imagination : finir dans un orifice, dont le choix ne lui appartient même pas. Alors, quand Paul — oui, Paul le Suppo — décide de contrecarrer les plans que l’univers avait ourdis pour lui, voilà de quoi sourire.

Et quand une petite fille constipée se présente au domicile qui héberge sa boîte, il comprend que ses heures sont comptées… Fuir, là-bas fuir… mais ensuite ?

 « Je ne sais plus ce qui nous est arrivé, sans doute ne l’ai-je même jamais su. J’invente le réel pour te garder encore un peu. » (p.142)

Lisa Balavoine s’inscrit dans la lignée de Joyce Carol Oates avec Mère disparue (2005 chez Philippe Rey) et de Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine Vigan (publié en 2011 chez Lattès).

J’ai lu ce livre sans réussir à m’arrêter avec une attention suspendue à mes propres souvenirs. Dans une écriture aérée et intime celle qui fut d’abord une enfant nous livre le portrait de son premier amour. Une mère célibataire à l’attention instable et cruelle.

Un récit qui s’étale dans le temps et se télescope à l’expérience de la maternité qu’a fait l’autrice.

En replongeant dans la narration fragmentaire de leurs vies communes, Lisa Balavoine trace le parcours des séparations. Ce témoignage nous touche en tant qu’il nous rappelle ce que signifie grandir dans le souvenir de celles et ceux qui nous ont tant marqué.

C'est l'histoire de deux hommes, un orange et un bleu. Ils s'observent, se confrontent, ils sont visiblement ennemis sans qu'on en sache la cause. Chacun caché derrière son mur, ils se méfient l'un de l'autre. Parfois, ils se chamaillent, à distance, et parfois ils attendent laissant le temps suspendre leur conflit. Pour un jet d'escargot, l'attaque est lancée, les mots fusent à distance, toujours. Les saisons passent, le temps ne suspend pas son vol et entraîne avec lui un oiseau bleu qui dépose sur le mur un oeuf. Peut être objet de la réconciliation ...

, beau livre illustré en bichromie, tranche par son originalité, et son minimalisme. Dans un conflit, il y a deux camps, ici les bleus et les oranges. Il y a une méfiance, une distance, une peur souvent due à l'ignorance.
Olivier Tallec crée ici une jolie allégorie des conflits inutiles qui gouvernent notre monde, un livre sans parole qui dénonce l'absurdité de la guerre qui n'est pas sans rappeler « L'ennemi » de David Cali et Serge Bloch (éditions Sarbacane, 2007).