Oakpine, une petite ville de l'Etat du Wyoming sans importance si ce n'est qu'elle se trouve au cœur des paysages de l'Ouest américain et que a choisi d'y situer son dernier roman. Une ville assez morne que nombre de jeunes souhaitent quitter, où même la chaîne de restauration Starbucks n'est pas encore installée, où ce sont les cerfs qui mangent les tomates dans les jardins. Une ville qui possède une solide équipe de football américain, un petit musée, une entreprise multi-services de bricolage, un cimetière, quelques cafés, des maisons inoccupées, une agence immobilière, "un centre-ville encombré et ses petits bâtiments à deux étages".
A la mort de son frère, il y a 30 ans, Jimmy a quitté cette ville, est devenu écrivain. A 50 ans, malade du sida, dans l'incapacité de s'offrir des soins hospitaliers, il revient à Oakpine, chez ses parents. Là, il retrouve deux copains d'enfance toujours installés ici, Craig et Frank et un troisième, Mason, revenu le temps de mettre en vente la maison de ses parents.
L'occasion pour eux, de remonter le temps, avec nostalgie, de se rappeler le groupe de musique et les années de lycée, l'insouciance de l'époque avant la guerre du Vietnam et l'accident fatal de Matt. L'occasion pour eux de dresser un bilan de leur vie, d'expliquer, chacun, le chemin de leur existence, plus ou moins éloigné d'Oakpine, plus ou moins éloigné de leurs rêves d'adolescence.
Mélancolique et sensible (un peu moraliste), jamais désespéré, le nouveau roman de Ron Carlson offre au lecteur une peinture de la société américaine moyenne, s'emploie à dépeindre une nature encore préservée, au fil des saisons comme au fil des itinéraires de courses à pied que Larry, le fils de Craig, effectue avec bonheur et énergie. Mais, derrière ces descriptions somptueuses, des paysages comme des matchs de football intenses et enivrants, pointent le désir, la nécessité de partir. A un moment différent selon chacun. "C'était drôle. Il aimait cette ville et il n'en voulait plus."
Sans d'autre fil narratif (ténu) que la recomposition éphémère du groupe de musique, l'auteur rend compte avec précision et une grande tendresse des sentiments qui animent ces hommes et femmes, occupés à regarder en arrière et à rêver encore de changements.
"Ils avaient fait leur vie. La chasse et le foot à l'automne. Le magasin. Noël en ville avec les parents […] Le nettoyage de printemps et les soldes au magasin. La pêche. Les années".
Très habile à exprimer la routine et l'immobilisme qui emprisonnent les couples, les frustrations inassouvies, il emprunte les voix de chaque personnage, les laisse s'interroger, dresser le bilan d'une vie puis agir ("je suis arrivé à la fin de ma première vie"), à leur manière (mais sans surprise et sans éclat véritable).
Sans trop bousculer l'ordinaire, par petites touches, Jimmy, son père Edgar, Frank, son ex-femme Kathleen, Marci, l'épouse de Craig, Larry leur fils ou encore Mason, l'avocat de Denver, tous, par les liens d'amitié qui les unissent, vont parvenir à dépasser leurs interrogations et mal-être et "devenir meilleurs".
Cette histoire émouvante et attachante dans son ensemble (çà et là pathétique), insérée à une nature lumineuse, manque peut-être, pour convaincre davantage, de rébellion, d'une opposition à tous ces bons sentiments (si attendus) pour que la tonalité soit plus juste et profonde. Il n'empêche, le rythme équilibré entre passé et présent, entre tous les personnages, offre peu de temps mort une belle fluidité à l'histoire (un peu lisse, hélas).
traduit par Sophie Aslanides