La rentrée littéraire des éditions Rivages est portée par Makenzy Orcel et Miguel Bonnefoy. Si le premier est toujours en lice pour le Prix Goncourt, l’autre l’est pour le Prix Fémina. Le brillant auteur de Sucre noir nous raconte la vie du grisâtre Augustin Mouchot, qui aura tenté, son existence durant, de capter une lumière dont il était dépourvu. Homme de peine, de maladie et d’un courage moral inégalé, il se brûlera les ailes, comme Icare, après avoir touché le Soleil du bout des yeux.
Le 05/10/2022 à 10:56 par Hocine Bouhadjera
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« Son visage grillait. Il cherchait l’incendie, plutôt que l’illumination. » Augutin Mouchot n’aurait jamais dû faire de vagues dans une vie morne et toute tracée. Il est né à Semur-en-Auxois le 7 avril 1825, haut lieu de la littérature depuis cette année, entre ce roman et la riche actualité de Maud Simonnot. Son père est serrurier et sa mère meurt peu de temps après sa naissance,
Il survit à toutes les maladies possibles et même au choléra, mais son teint en restera définitivement « translucide ». « À dix-sept ans, il eut l’aube d’une calvitie et des mèches blanches. À vingt ans, Mouchot en paraissait quarante. Il marchait comme s’il dissimulait un secret et ne regardait jamais les gens de face. »
Grand timide devant la vie, austère, froid, ce professeur de mathématique et de physique installé à Alençon, commence à se passionner pour l’énergie solaire, par l’entremise de lectures de scientifiques oubliés, comme lui avant Miguel Bonnefoy. En réalité, il n’est pas si inconnu que ça, puisque l’auteur a expliqué avoir eu l’idée de ce roman en découvrant une série documentaire, Cosmos, qui traite, dans son épisode 14, du Soleil, et évoque la figure de Mouchot.
Un premier brevet sur l’utilisation de l’énergie solaire, un déménagement à Tours pour devenir prof de lycée, et à 40 ans, une démonstration dans la cour de l’école devant une cinquantaine de personnes influentes du coin, des capacités de sa machine : cuire des légumes dans sa marmite solaire. Son idée visionnaire : capter la chaleur de l’étoile de notre galaxie, notamment à l’aide de miroirs, et la coupler avec un engin à vapeur, symbole du XIXe siècle industriel.
Comme souvent l'existence, à un échec succède la chance. La démonstration rate, mais quelque temps plus tard, l’armée le contacte. Il y a nécessité à cuire les aliments sans faire de fumée, afin de ne pas se faire repérer. Augustin Mouchot finit devant l’empereur Napoléon III à présenter un nouvel appareil bien plus sophistiqué. Le succès et la reconnaissance arrivent, jusqu’à un acmé social à l’Exposition universelle de 1878 où le fils de serrurier crée un bloc de glace avec l’énergie solaire, reçoit la médaille d’or de l’événement, et même la Légion d’honneur…
L'épopée d'un outsider
Comment le précurseur des techniques de captation de l’énergie solaire a pu être autant oublié ? Là encore, il est de ceux qui adviennent trop tôt. À son époque, le charbon est roi. Bonnefoy politique ? Il garde le cap de la littérature et ne tombe jamais dans la facilité : l’auteur du Voyage d’Octavio ne fait pas de raccourci factice et anachronique. Augustin Mouchot reste un homme de son époque, scientiste, libre penseur ; loin des considérations écologiques qui s’imposent à notre époque.
Le roman est construit, entre une narration tenue, en ligne droite, fruit d’un grand travail de recherche, et quelques incursions dans le réalisme magique, comme l’affectionne le Franco-Vénézuélien. Le pays de rêve du sud d’Augustin Mouchot est l’Algérie française, avec son désert, ses nomades et ses monts brûlés par le Soleil. Ce pays lui coûtera cher, mais c’est ici que Miguel Bonnefoy y voit son apothéose, malgré la cécité qui en résultera.
S’il finit par être reçu aux mondanités, jusqu’à « dompter sa gaucherie », son aventure est solitaire, sa vie celle d’un outsider, et ses aspirations, mythologiques : sur le mont Chélia en Algérie, où le Soleil tape le plus fort, il détruira tout ce qu’il avait édifié en besogneux, devenant un véritable fils du Soleil. Le Soleil, expliquait Georges Bataille, est l’astre qui, fondamentalement, se dépense, se consume. C’est au nord qu’on accumule, qu’on prévoit, qu’on gère.
« Comme un malheur ne vient jamais seul, ce fut plus ou moins à cette époque qu’on découvrit de nouveaux gisements de charbon dans l’est de la France. L’amélioration du réseau ferré facilita son approvisionnement et conduisit le gouvernement à estimer que l’énergie solaire n’était pas rentable. »
La fin est le moment de bravoure du texte. Tout le roman aurait dû être à son image. Plus développé, plus une grande oeuvre réaliste du XIXe siècle traversant des instants importants de l’Histoire de France, comme les grands travaux haussmanniens ou la Guerre Franco-Prussienne de 1870. Ça n’aurait pas permis à l’œuvre d’être un bon ouvrage, puisqu’il est déjà bien plus que ça, mais d’être, sans aucun doute, un roman considérable. Miguel Bonnefoy ne déçoit jamais, mais tous ses livres pèchent par manque de déploiement, face à l’ampleur de chacun des sujets qu’il choisit de traiter.
C'est un texte à découvrir, pour la générosité de sa pédagogie, le talent d’une narration claire, et les quelques embardées, comme le récit d’un ouvrier alcoolique qui termine en Amérique du Sud, l’apparition quasi magique d’une femme dans le lit de Mouchot, les clins d’œil à ses oeuvres précédentes, ou les passages algériens.
« Mouchot, le 28 mai 1871, ne pleura pas ses morts, ne s’allia pas au nouveau gouvernement. La seule chose qui secoua son esprit fut le constat d’une légère grippe, d’un mal de tête et de petits frissons qui l’empêchèrent de trouver le sommeil. »
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