Quoi de plus banal qu'une médaille de baptême ? C'est pourtant un petit pendentif en or à l'effigie de la Vierge Marie qui sert de fil rouge à « La Ronde », épais album signé par la dessinatrice et scénariste allemande . L'objet traverse un siècle d'histoire, passant de main en main et de continent en continent, permettant à l'auteur de raconter dix tranches de vie qui n'ont a priori rien en commun.
A priori, bien sûr, car ce qui relie ces personnages, c'est précisément le collier et sa médaille qui, de Hambourg à Montréal en passant par les rives du Lac Naivasha, au Kenya, ou les tranchées d'Ypres, se font offrir, voler, échanger ou vendre, selon les épisodes. Et chaque fois se retrouvent investi d'un sens important aux yeux de son nouveau propriétaire : le médaillon porte tantôt l'espoir, tantôt le souvenir, quand il ne s'alourdit pas du poids du passé et de culpabilité...
On pourrait croire que le procédé est forcé, que la contrainte qui lie ces dix histoires empêchera le récit de décoller. C'est tout le contraire, une fois les trois premiers chapitres franchis, on comprend le principe de l'histoire et l'on se retrouve à chaque nouveau récit plongé dans l'intimité d'une existence, dans les enjeux d'un quotidien souvent compliqué.
La principale force de cette histoire, c'est de nous faire entrer en quelques cases à peine dans les enjeux qui tissent chacune des vies, dans les questionnements qui traversent les personnages. Ils sont souvent seuls, traversés par des choix de vie compliqués, ils pensent au passé de leur famille, comme au futur de leurs enfants. Ils sont plongés dans un siècle terrible, mais les ressorts qui les animent et les problèmes qu'ils affrontent sont d'une universalité touchante.
Le dessin à l'encre de Birgit Weyhe se concentre sur les personnages, la plupart du temps dessinés de face, en plan américain. La mise en scène des images est d'une sobriété totale : presque pas de décor, les sujets toujours placés au centre de la case, on sent que les images sont réalisées pour illustrer le propos. Ce qui est étonnant, en revanche, et plutôt réussi, c'est le recours très fréquent à des images abstraites pour faire comprendre, au pied de la lettre, bien souvent, le sens de ce qui est dit par les personnages. Ces trouées illustratives amènent le lecteur à passer d'un registre à l'autre (de l'illustration de la situation à la représentation concrète des expressions évoquées) et pimentent le récit, en tenant constamment à distance l'anecdote.
Graphiquement, les plus belles pages de l'album sont les dix pages titres qui annoncent le début d'une nouvelle histoire et les dix pages de résumé qui les suivent : à chaque fois, Birgit Weyhe a imaginé un papier peint en noir et blanc, à motifs tantôt abstraits tantôt très lisibles, qui font entrer de plain-pied dans l'univers de l'histoire qui démarre. Ce travail graphique rappelle les magnifiques couvertures de la collection « Motifs » au Serpent à plumes. À elles seules, elles méritent que l'on ouvre cet album et que l'on suivre la ronde de cette médaille de baptême à travers un siècle d'histoire et de voyages...