Freddy Sauser (futur ) livre ici son premier à travers le court journal de sa traversée de l'Atlantique pour rejoindre New York et celui de son retour vers la France, quelques mois plus tard, plus proche cette fois d'un cahier de notes et de croquis que d'un véritable journal de bord.
Un récit de voyage particulier, loin d'être une invitation à l'évasion, loin de ressembler à un désir de conquête du Nouveau Monde, qui laisse plutôt entrevoir chez l'auteur, une grande solitude, un besoin de fuir les gens, teinté à la fois d'arrogance et d'orgueil, mais aussi contemplatif et poétique, d'inspiration baudelairienne.
En novembre 1911, le narrateur quitte Saint-Pétersbourg en train pour rejoindre Féla à New York, une jeune étudiante juive polonaise qu'il a rencontrée en Suisse et qui deviendra sa future première épouse. Il embarque à Libau (aujourd'hui ville côtière de Lettonie) à bord du « Birma » avec la crainte d'être refoulé en Amérique pour cause de drachomae (inflammation des yeux) et prêt à envisager le suicide en ce cas.
Quinze jours de traversée le séparent de son amie, quinze jours pendant lesquels il va pouvoir se recueillir, laisser s'épanouir son amertume et se détacher des gens. « J'entreprends ce voyage pour être loin de l'hideuse face humaine […] L'épouvantement de la face humaine va cesser pour quinze jours ». Sans émotion ni excitation, il quitte le continent européen, part pour écrire et observer le spectacle grandiose de la mer, sans intention de se mêler aux passagers.
« Je ne puis les voir en sympathie […] Je ne puis faire des concessions qu'à la mer. C'est bien assez d'être avec une pareille compagne ». Et le mépris, le dédain qu'il laisse entrevoir, par petites touches, dans les pages de son journal à l'égard des hommes et des femmes sur ce bateau contrastent avec l'émotion qui le saisit lorsqu'il contemple l'océan, éprouve la tempête et le mal de mer, proche du vertige et de l'euphorie.
"La formidable beauté de l'immense".
Avec une précision remarquable, toute empreinte de lyrisme, Blaise Cendrars étudie le bateau vacillant, nous fait entendre le bruit des cordages sous le vent, le claquement des vagues contre la coque, le ronronnement des machines (elles « poupoufonnent »), intensifie avec grâce la masse des flots, offre un spectacle grandiose et très visuel de la mer déchaînée, sans cesse renouvelé, si musical que le lecteur se surprend à lire les pages à voix haute, impressionné et intimement confronté, à son tour, à cette immensité.
Quelques mois plus tard, Blaise Cendrars reprend la mer pour rejoindre le Havre. Moins construit, Le Retour contraste avec la précédente traversée. L'auteur semble désabusé, cruellement déçu par son séjour en Amérique, se compare aux « fatigués d'Amérique », décrit la faim, le froid, l'odeur de pourriture, la mer uniforme et plate et parsème ce court récit de croquis de passagers qui s'achève par un poème, ébauche d'un texte à venir.
De quoi susciter la curiosité du lecteur et l'inciter (s'il ne l'a déjà fait) à découvrir plus amplement l'œuvre de Blaise Cendrars.