Depuis trois longues années que Shéhérazade égrène chaque soir un conte au sultan Schakriar, le vizir Dandan, le père de celle-ci, vit dans l’angoisse de la sentence que le sultan a décidé d’appliquer pour se venger de l’infidélité de l’une de ses épouses.
Aussi, ce matin-là, est-ce tremblant qu’il se rend à la convocation du sultan dans le palais de ce dernier.
Mais contre tout attente, Schéhérazade, qui a donné un fils au sultan, a aussi réussi à faire fléchir cet homme impitoyable qui va enfin mettre un terme à la vengeance qu’il avait proclamée : mettre à mort, après la première nuit, chaque jeune vierge qu’il avait épousée la veille pour ne plus jamais subir de tromperie.
La liesse est générale pour célébrer le mariage.
Et, cependant que les festivités ont lieu, de drôles d’histoires viennent semer animation et perplexité parmi les habitués du café des Emirs : autant que dans les contes dont Shéhérazade a rempli les nuits du sultan, les rues de la ville deviennent le théâtre d’évènements aussi inattendus que surprenants, à la limite du surnaturel.
C’est toujours avec le même plaisir que je plonge dans un des ouvrages de (traduit ici par )
Là, pourtant, il est assez éloigné des rues du Caire dans lesquelles j’ai souvent aimé le suivre. Pour autant, c’est toujours la même ambiance qui se retrouve, dans la rue, au café, chez les marchands même si la touche de magique, de merveilleux change complètement l’horizon : créer une "suite" aux Contes des Mille et Une Nuits impose certaines dispositions pour être à la hauteur de la légende.
Les aventures qui se succèdent, comme autant de répliques aux contes de Shéhérazade, ne dépareilleraient cependant pas dans le monde féerique de la grande ville où les travers de l’âme humaine, bien aidée en cela par de drôles d’engeances pour le moins surnaturelles, trouvent à éclore, grandir puis finir par tomber de toute la hauteur des sommets où l’ambition, l’envie, la soif d’argent et de pouvoir, la veulerie, le mensonge ou la dissimulation avaient réussi à les porter.
Avec une plume acérée, Naguib MAHFOUZ épingle tous ses personnages, du plus humble au plus puissant, par les ressorts qui motivent tout : marcher sur la tête des autres pour aller plus loin et plus haut. Même le meilleur n’échappe pas à quelques griffures bien assénées. Même le pire trouve quelque compréhension. L’homme est si faible et tellement de tentations se dressent sur son chemin que rien ne peut ni le condamner ni l’absoudre totalement. Et quand sa volonté seule ne suffit pas, un petit coup de pouce des Génies permettra la bascule.
C’est avec une régularité de métronome que, au fil des épisodes, les autorités la plupart du temps cléricales, tentent pourtant d’insuffler les voies de la Sagesse, le chemin de la Droiture dans la prière et la religion (peut être est-ce là le seul point sur lequel j’ai quelque peine à suivre l’auteur : sur la grandeur et l’omniprésence de Dieu, pas sur les objectifs envisagés) à ces êtres si faibles qu’ils ont bien peu de chances de gagner leur salut.
Au fond, par les temps qui courent, ces textes sont d’une actualité criante : un tel ne résiste pas à la concupiscence, tel autre ne fait aucun obstacle à la corruption, tel autre se complet dans toutes sortes de mensonges, tel autre encore abuse de son pouvoir et ne l’utilise en rien pour le bien de tous ( "toute ressemblance avec des personnages ayant existé ne saurait être que fortuite"…) !
Et les femmes dans tout cela ?! Eh bien on ne peut pas dire vraiment que leur rôle soit bien valorisé ! Allez, on va considérer que, quand on perçoit avec autant de finesse l’âme des hommes, il ne reste plus assez de temps pour s’occuper de celle des femmes !!!…
Dommage ! Mais ne vous privez pas, pour autant, de ces instants de vrai plaisir.