J'aime bien les bancs publics. Surtout lorsqu'ils sont anglais : comme des ex-voto invitant à partager le souvenir de moments heureux. Ceux goûtés par Mr et Mrs Smith (ou Jones, ou Scott...) et qu'ils décident de perpétuer en versant une petite obole pour l'entretien dudit banc.
La Chronique BD de BDfugue.com
Une plaque de cuivre vous renseigne sur l'identité du généreux donateur : en général, Mrs Smith (ou Jones, ou Scott...) en témoignage de l'amour porté à son défunt mari. Mais bon, inutile de s'expatrier pour apprécier les qualités de ce meuble accueillant, que l'on soit enfant joueur, amoureux béat ou paisible retraité ! Quant à en faire le personnage principal d'un album de bande dessinée...
Eh bien, c'est le pari de Christophe Chabouté dans son dernier opus édité chez Vents d'Ouest, Un peu de bois et d'acier ! Un pari audacieux... sur plus de 300 pages, de surcroît. Le banc public a ceci de commun avec un Horse Guard posté devant l'entrée du palais royal de Buckingham (encore l'Angleterre, décidément) : il ne parle pas et ne bouge pas. Mais il voit graviter autour de lui une foule de visiteurs, habitués ou occasionnels. Chacun a son histoire, que l'on ne fait qu'effleurer ou que l'on voit se développer au fil de l'album.
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Les saisons défilent et le temps passe... Employer le mot "performance" semble malvenu : Chabouté est loin de toute volonté d'esbroufe ou de spectaculaire et s'en tient à un noir et blanc qui ne pardonne rien. Mais il réussit à mettre en scène le quotidien du banc d'une façon expressive et simple, sans adopter un point de vue unique ou au contraire multiplier systématiquement les angles... et c'est très fort !!!
Comme souvent, Christophe Chabouté nous parle des gens de peu, des humbles, et des petits évènements de leur petite vie (ne voyez dans cette expression aucune condescendance de ma part, bien sûr !) et nous conduit ainsi au cœur de l'humain.
Il nous met dans la position d'un observateur bienveillant, qui se penche avec amour sur tous ces personnages, et nous propose d'en tirer un enseignement philosophique. C'est une invitation à se poser et à regarder, comme le peintre aquarelliste découvre peu à peu chaque détail du paysage qu'il doit fixer sur la toile. Chacun vient chercher quelque chose sur ce banc, sans qu'il s'en rende forcément compte, et le petit tas de bois et d'acier devient parfois un refuge, souvent un révélateur...
Parce que l'album est entièrement muet, les personnages gardent un côté un peu abstrait, un peu distant, qui permet au lecteur de s'investir dans le récit et d'imaginer plus facilement ce que peut être leur vie. Malgré tout, et grâce au talent du dessinateur, leur visage reste très expressif, comme celui des acteurs au temps du cinéma muet.
Le gang Kennedy
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À l'encontre de nombreux autres ouvrages de Chabouté, le ton se veut optimiste et une douce émotion prédomine... au risque de friser la mièvrerie ? Parmi les autres ouvrages de cet excellent dessinateur, j'avoue garder une nette préférence pour Tout seul - un chef d'œuvre ! - ou pour Fables amères, beaucoup plus mordant. Mais bon, un peu de tendresse dans ce monde de brutes, cela ne fait pas de mal !!!
Mais jetez un coup d'œil à celui-ci...
Nouvelle parution dans la série "Jour J" des éditions Delcourt ! Fred Duval et Jean-Pierre Pécau au scénario, Colin Wilson au dessin : belle réunion de talents pour Le gang Kennedy, où quelques icônes américaines sont passées à la moulinette. À la fin des années 40, la prohibition est toujours en vigueur et l'Amérique anglophone doit composer avec sa puissante voisine, la "Nouvelle-France".
Charles Lindbergh est un président fasciste et Joe Kennedy un trafiquant d'alcool. L'esprit du cinéma de série B dans une uchronie assez délirante et paradoxalement vraisemblable, pour une lecture très divertissante.