Historien de l'art, conseiller et ami d'Hergé, signe ici son dernier ouvrage (il est décédé en mai 2015) et offre au lecteur, Tintinophile ou pas, un magnifique album monographique de l'œuvre d'Hergé.
Avec plus de 230 millions d'exemplaires vendus à travers le monde, les 24 albums de Tintin constituent bien une œuvre d'art et cet ouvrage, réalisé à partir des archives du Musée Hergé à Louvain-la-Neuve en Belgique, franchement passionnant (même pour un non-initié) l'atteste sans doute possible et présente avec curiosité le travail de l'artiste, de ses premiers coups de crayon jusqu'aux albums aboutis de Tintin.
Une rapide biographie illustrée de photos d'archives saisissantes montre à quel point Hergé s'est inspiré de son enfance et de ses douleurs pour construire ses personnages, de Tintin à Haddock en passant par les Dupondt et comment, dès le collège, il développe déjà des talents artistiques reconnus (dessins publiés dans des fanzines du mouvement scout notamment) qu'il va pouvoir ensuite développer dans le journal Le Vingtième Siècle, puis dans le supplément Le Petit Vingtième dès 1929.
Les nombreuses planches proposées (250 illustrations) permettent de saisir l'évolution de l'artiste, et pas seulement au cœur des albums de Tintin ou de Quick et Flupke mais également à travers des autoportraits, des portraits de sa femme, des dessins de mode ou des projets de publicité.
Un ouvrage qui montre aussi la passion de l'artiste pour l'art contemporain et livre au public quelques œuvres remarquables de sa collection (de Hans Holbein à Jean Dubuffet, de Joan Miro à Lucio Fontana, Serge Poliakoff, sans oublier Andy Warhol à qui il commanda une série de portraits dont trois sont la propriété des Studios Hergé).
Et pour les plus admiratifs, les inconditionnels de Tintin, les 24 aventures sont présentées, racontées depuis leurs origines (Totor le scout) et rappellent que Tintin vit le jour le 10 janvier 1929 avec la mission de dénoncer les mensonges de la propagande soviétique (Tintin au pays des Soviets, 1930).
Le succès fut immédiat et inattendu. Le mythe du célèbre reporter était né. Si selon Pierre Sterckx, Hergé s'est "coulé dans le moule colonialiste dominant de l'époque" pour écrire et dessiner Tintin au Congo en 1931, si dans Tintin en Amérique en 1933, il exprime aussi une nette américanophobie, mais c'est celle de la droite catholique de l'époque; il cesse ensuite de "se faire l'écho des clichés de l'actualité pour s'engager dans l'art du roman" et en 1936, il réalise son premier chef d'œuvre Tintin et le lotus bleu, conseillé par un jeune étudiant chinois de l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles.
Puis, plus tard, avec Tintin et le sceptre d'Ottokar, il transpose habilement l'annexion de l'Autriche par Hitler en 1938 mais en 1941, Tintin et le Crabe aux pinces d'or est publié dans le journal Le Soir, dévoué à la propagande nazie et vaudra à Hergé, quelques ennuis à la Libération.
Par des histoires racontées en un double album (Le secret de la Licorne et le Trésor de Rackham le Rouge puis Les sept boules de cristal et Le temple du soleil et plus tard encore Objectif lune et On a marché sur la lune) il modifie le rythme et la narration de ses aventures et renouvelle un succès commercial salutaire.
Avec Coke en stock (1958), Hergé relance Tintin dans "sa quête de justice et de défense des opprimés" et atteint un état quasi spirituel avec Tintin au Tibet (1960). En 1976, Hergé se désintéresse un peu de son personnage et partage sa vie avec sa seconde et jeune épouse, voyage, s'initie à l'art contemporain et Tintin et les Picaros déçoit, même les plus tintinophiles. Hergé, atteint d'une leucémie qui l'emportera en 1983 laisse sa dernière œuvre inachevée, Tintin et l'Alph-Art (1979).
Ce tour d'horizon est absolument passionnant, emporte le lecteur dans un état de nostalgie agréable, attise la curiosité et l'intérêt pour une œuvre connue de tous, qui a imprégné et marqué l'enfance de chaque lecteur, est demeurée tellement inscrite en chacun de nous qu'il est impossible de ne pas se sentir interpellé par l'ouvrage.
Et, au-delà du souvenir presque mélancolique de la lecture d'enfant, ce livre permet, à rebours, de mieux comprendre les personnages d'Hergé, tous liés intiment à la vie de l'auteur, de pénétrer l'art de la bande dessinée, de saisir l'inspiration multiple de l'auteur. Sans ennui, littéralement fasciné !
Tiens ! L'envie soudaine de monter au grenier pour retrouver le carton de livres mis de côté nous pénètre alors…
Décidemment Tintin ne veut pas mourir.