Mon cher Pascal, je ne résisterais pas à te citer citant d’Ormesson : « Nous n’avons plus de héros, nous n’avons plus de maitres. Nous avons remplacé la surprise par la fatigue et l’admiration par le ricanement. »
Et à ce titre, je vous ferais volontiers part d’une brève histoire, tirée du Littré, et arrangée pour la circonstance. Un marquis besognant dans la cuisine une de ses servantes, est interrompu au moment de la petite mort par sa marquise d’épouse. Affolée par ce qu’elle voit, cette dernière s’exclame : « Monsieur… Monsieur, vous me surprenez ! » Et le marquis de rétorquer, déçu de ne pas achever son affaire : « Hé non, ma Dame. Je vous étonne. C’est vous qui me surprenez. » À bon entendeur, Monsieur d’Ormesson…
Et si c’était niais raconte les aventures policières de l’inspecteur Adam Seberg, et de temps à autre, les interventions de son collègue Anglard. Une fâcheuse épidémie de disparitions frappe en effet les écrivains publiés par une même maison d’édition, que pilote d’une main de fer dans un gant de crin un certain Jean-Louis Chifflon. Un ravisseur – ou un sauveur des Arts et Lettres, c’est selon – kidnappe ses auteurs fétiches.
Et personne n’est épargné : Denis-Henry Lévy, Mélanie Notlong, Bernard Werbeux ou encore Pascal Servan, et j’en passe et j’en oublie, et je vous invite à les découvrir… Mais par un singulier miracle, chacune des onze victimes participe au récit de son rapt en prêtant sa plume et son style à la rédaction des onze chapitres, l’auteur ne signant que l’épilogue, qui à lui seul vaut le détour.
Avertissement tout de même pour l’amateur de polars : ceci n’est pas un polar. Enfin, pas au sens où on peut l’entendre. Oui, bon y’a une vague intrigue, tournant autour des milieux littéraires comme un poisson dans son bocal. Mais sans la mémoire limitée à une vingtaine de secondes du vertébré aquatique à sang froid. En même si l’ensemble va assez vite, la saccade des chapitres résumée à son essentiel ne mène pas bien loin.
Alors quoi ? Bien c’est vers la forme adoptée par le récit qu’il faut se tourner. Et là, on admet à l’unanimité que, mon petit Pascal, t’as réalisé un sacré boulot. Les défauts, les vices rédactionnels, les tropes, les errances, le ton (c’est bon), ou encore le vocabulaire et l’ambiance, on nage dans les chapitres comme écrits, avec une auto-dérision impensable, par leurs authentiques auteurs.
Jetez un œil tout particulièrement à celui de dOrmissemon pour vous en convaincre : c’est à la hauteur du véritable, et ne souffre d’aucune critique, quant à la justesse de la parodie. Si, promis.
Et c’est là que mon index, précieux compagnon de lecture, me souffle deux questions crispantes. « Ben ouais, mon gars, c’est plutôt fameux, mais si tu les avais pas lus, ces auteurs, comment tu l’aurais vécu ce bouquin ? Parce que finalement, c’est vraiment drôle ? » Oh, le petit saligaud… Par acquis de conscience, je vais cependant répondre. Et aussi pour lui couper l’herbe sous l’ongle du pied.
D’abord, oui et non. Si l’on ignore tout des auteurs caricaturés, il est temps de se replonger dans une librairie, fut-ce simplement pour se tenir au courant de ce qui existe et se fait de nos jours. Mais admettons, et dans ce cas, la légèreté et l’humour en font un texte sympa, mais qui ne casserait pas trois doigts à un écrivain. Le comique de situation, les répliques ou les réactions des personnages amusent et distraient. Si, promis. Reste que non, sans un minimum de connaissance de ces gens-là, on perd la plus grande partie du texte.
Alors est-ce que c’est drôle ? Bien l’humour, c’est aussi réservé à ceux qui sont équipés pour le comprendre, voire en faire. Et là, les statistiques chutent drastiquement pour Et si c’était niais. Oui, c’est niais, cela dit, et finalement on se prend au jeu des disparitions et du grotesque de chaque écrivain, dont les traits grossis pour les rendre pédants et imbus de leur personne font mouche. Mais on ne rit pas non plus aux éclats, parce que, ben non, c’est pas non plus une grosse comédie ni une farce molièresque…
De là à trancher, et déclarer ce livre coupable d’un crime de lèse-littérature ou un véritable morceau de bravoure et de pastiche… ben je sais pas. Non, n’insistez pas, ça me gêne, je peux pas me prononcer. Oui, j’ai bien aimé : je connaissais les auteurs pour avoir subi leur prose par le passé, mais je sais pas si je le conseillerais. Ou alors à des gens que j’aime pas et qui adorent les victimes concernées… Gniark gniark gniark !
Blague à part. Et si c’était niais procure un bon moment de détente, et finalement sa grande qualité, c’est d’inciter à découvrir ces gens grimés. Et finalement, là où un bon vieux livre de dénonciation aurait permis d’enterrer vivant ces fagociteurs de Lettres, on se dit que Pascal a bien réussi son coup : assurer la promo des 30 prochains pavés que publiera cette ribambelle d’emplâtres.
Mais non sans un humour qui égratigne durablement…