Jamais très éloigné du roman de Régis Jauffret, "Claustria" (Points, 2012), en résonance également avec "Des femmes qui dansent sous les bombes " de Céline Lapertot (Viviane Hamy, 2016), le livre de déploie cependant une voix unique et intense, celle déjà remarquée d'ailleurs dans Feu pour feu (Actes Sud, 2014).
Une économie de mots, une émotion ardente arriment solidement le lecteur au texte, sans possibilité de détour ou de détachement. Aussi, peu importe l'âpreté et la noirceur de l'histoire, il les éprouve, pénétré par l'écriture poétique, possédé par le rythme alterné des voix, transpercé par les cris de désespoir, les tourments intérieurs, la folie de l'enfermement.
C'est une histoire de séquestration que raconte Carole Zalberg et de manière plus universelle, ce sont les violences faites aux femmes de tout temps et en tout lieu qu'elle place sur le devant de la scène et la résistance absolue, la fureur de vivre que ces femmes déploient, au-delà de l'horreur, de l'asservissement ou de l'humiliation.
"Je suis fatiguée. Je suis absorbée. Il m'avale […] Je me sais devenue immonde".
Juste parce qu'elle lui a souri, a posé son regard sans hostilité sur son visage déformé et brûlé, Marie va rester enfermée trois ans avec cet homme, subir ses violences et la folie de son désir. De son passé avant le rapt, de son dégoût, de sa rage, de son isolement, de sa lutte, de ses angoisses, de sa possibilité d'évasion par la lecture, elle dit l'essentiel jusqu'à se soumettre et s'éteindre peu à peu, comme dépossédée d'elle-même. "Il a fini par m'obliger à vivre."
Lui, raconte à son tour, son enfance et sa souffrance, l'explosion qui le défigure et l'isole puis la renaissance dans cet espace clos, la vie qui reprend le dessus à travers le Nous qu'il impose avec autorité et qui dupe sa solitude. "Tu verras en nous ce que je vois, tu voudras pour nous ce que je veux." Personnage aussi effroyable que pitoyable.
A l'extérieur, une mère et un père crient leur peine, les blessures irréversibles qui transforment durablement le quotidien, font naître la haine, le désir de vengeance et créent le vide incommensurable. "Vous n'avez pas volé qu'une vie. Par lien et contamination vous avez interdit la paix à une famille entière et à d'autres, qui connaissaient Marie et ne seront plus jamais insouciants."
En alternance avec les voix plus déployées de Marie, de ses parents, de son petit ami et d'Edouard, le ravisseur, des existences féminines dévastées, plus anonymes, sont révélées sous formes de témoignages concis mais incisifs et forment, par leur incursion répétée, une mélopée obsédante et régulière, impossible à oublier.
Comme un rappel à la révolte. Pour ne pas sombrer dans l'indifférence et faire de cette histoire, le symbole d'un plus large combat, celui de l'oppression et de la maltraitance des femmes.
Un livre pétri d'angoisse, de souffrances et de tragédies éprouvantes mais qu'une langue sensible et belle, très condensée soutient sans défaillance ni débordement.