Il y a quelques semaines nous avions rencontré Hélène Ramdani, l'éditrice en chef du Navire en Pleine Ville. Aujourd'hui nous avons voulu donner la parole à l'un des premiers auteurs à être monter sur le pont, Don Lorenjy. Auteur du roman remarqué dans les milieux S.F, , Don Lorenjy nous livre là son premier opus et nous, on le rencontre... dans les bois !
Bonjour Don Lorenjy, si j'en crois une note de ton blog fin octobre 2007, la question la plus compliquée que je peux te poser est celle-ci : ça parle de quoi Aria des Brumes ?
Bonjour. C'est vrai, la première question – et la plus normale – qu'on entend après avoir avoué qu'on écrit un roman, c'est « Ah oui ? et ça parle de quoi ? » Et il faut sans doute être un auteur déjà expérimenté pour savoir répondre en quelques mots qui font mouche. Sinon, noyé dans les détails, on se répand en phrases ridicules encombrées de « En fait c'est surtout l'histoire de… » ou de « Mais avant il s'était passé… » Heureusement, j'ai eu le temps de réfléchir un peu. Donc Aria des Brumes ça parle d'un gars très fort et très fier de sa force, qui débarque avec quatre collègues aussi forts et aussi fiers pour sauver toute une planète à eux tout seuls. Dès le premier engagement, les quatre collègues sont cramés. Le gars, un peu moins fier et un peu moins fort, va essayer de comprendre pourquoi tout a raté, ce qu'il peut faire pour ne pas flamber lui aussi, et peut-être même se rendre un peu utile à la fin. Ce qui permet d'emblée de constater que cette histoire a une fin. Si on veut se placer au plan du sous-texte, on peut dire que ça parle aussi de libre arbitre et du pouvoir qu'on a sur les choses, sur les autres et sur soi-même, de l'utilisation que chacun fait de ce pouvoir... Mais personne n'est obligé de le lire comme cela : c'est avant tout une histoire.
Deuxième question difficile, qui es-tu Don Lo ?
Aïe, la colle ! Don Lorenjy n'existe pas, ce qui prouve bien que ce n'est pas moi. Mais derrière ce pseudonyme que j'utilise pour tous mes textes SF ou fantastiques, il y a un grand ado qui a passé les quarante ans et s'amuse comme un gosse à écrire des histoires. Disons que j'ai eu suffisamment de chance dans la vie pour commencer à renvoyer l'ascenseur. Comme la seule chose que je sache faire c'est écrire – je gagne ma vie comme rédacteur publicitaire depuis une vingtaine d'années – c'est en racontant des histoires que j'essaye de faire un peu plaisir aux autres. Alors ça a donné des nouvelles, que j'ai commencé par faire lire à mes proches, à mes voisins, à offrir à la place des fleurs quand on était invités. Et puis un roman, et peut-être d'autres, on verra (c'est tout vu !). Après, savoir que je vis à la montagne, que j'aime ma femme et mes deux enfants, que je fais tout le sport que ma carcasse peut encaisser, que je m'inquiète comme tout le monde pour l'homme et sa planète sans avoir encore trouvé mieux que manger bio ou me chauffer au bois, et que j'aime lire, écouter de la musique et voir des films… est-ce intéressant ? Si oui, voilà, c'est dit.
Comment est né ce premier roman, Aria des Brumes ? De ta première idée à sa parution aux Editions du Navire en Pleine Ville…
La toute première idée, c'était une nouvelle qui finissait mal, et qui correspond au prologue actuel du livre. Longtemps après avoir écrit ce truc qui s'interrompait sur quatre morts brutales, j'ai eu envie de voir ce qui pouvait arriver au survivant, expliquer un peu dans quel bain il était plongé… Tout l'arrière-plan s'est mis en place dans ma tête, le contexte de la planète Aria, le contexte plus général de cette société humaine disséminée en colonies disparates reliées entre elles par la carotte de Terraform et le bâton de l'Alliance. Et quand un jour j'ai voulu écrire un roman pour épater mon épouse, c'est sur cette structure que j'ai naturellement embrayé. Je lui donnais un chapitre le soir, et si elle voulait savoir la suite, je la lui écrivais le lendemain. Ensuite, le temps de le faire lire autour de moi, j'ai attendu un bon moment avant de le proposer à des éditeurs. Certains ont répondu par des refus type (c'est normal), d'autre en m'expliquant que cet Aria était pas mal mais que leur planning était plein jusqu'à 2012. Et j'ai oublié l'affaire, jusqu'à ce qu'on me dise, au détour d'un forum, qu'un éditeur bien pêchu « prenait sans problème des manuscrits de SF ». C'était Le Navire en Pleine Ville. J'ai contacté Hélène Ramdani par mail, qui m'a demandé d'envoyer le fichier texte – ce qui m'a bien plu, question économie d'encre et de papier. Elle m'a répondu rapidement que si j'acceptais de retravailler mon texte, ce roman valait qu'on s'y mette. C'est comme ça que ça se passe, au Navire : réactivité et boulot acharné. Sans même se connaître, nous avons vite noué une relation de confiance. Hélène pointait ce qui n'allait pas dans le texte, parfois juste une expression, parfois tout un chapitre. À moi ensuite d'améliorer à ma façon. Jamais elle n'a pris le clavier pour écrire à ma place, mais ne m'a pas ménagé non plus. En deux sessions de corrections, nous sommes tombés d'accord sur le texte final, et je dois dire qu'elle a bien fait de me pousser un peu : le résultat correspond mieux à ce que je voulais écrire.
Tu as dis toi même que Aria des Brumes est un roman de science fiction qui plairait aussi à ceux qui n'aiment pas la science-fiction, justement, que vont-ils pouvoir y trouver ?
C'est une aventure humaine, tout simplement. La SF n'intervient que comme arrière-plan. Je ne renie pas le genre, n'ayant lu quasiment que cela entre 10 et 20 ans. Mais, comme l'a bien noté un critique savoureux, Aria ne fait qu'emprunter à la SF, avec assez peu « d'exotisme ». Cela aurait pu être un western chamanique ou de la fantasy urbaine : ce qui compte, c'est l'humain. Malgré leurs implants et leur technologie, les personnages sont confrontés à des problèmes humains auxquels ils apportent des réponses très humaines, et non scientifiques ou technologiques. En cela, Aria des Brumes est un roman accessible pour ceux qui n'ont pas de goût pour la SF. J'ai testé sur ma belle-mère : c'est confirmé.
La science-fiction pour un premier roman, c'était un pari risqué ?
Vous parlez en tant qu'éditeur ou libraire pour dire ça ? Oui, le Navire en Pleine Ville a pris un gros risque, et j'en remercie tous les jours Hélène Ramdani (merci Hélène). De mon point de vue, c'est l'inverse : la SF permet d'une part d'éviter la tentation de l'auto-fiction si courante pour les premiers romans, et d'autre part de créer de toutes pièces un monde où l'on va pouvoir animer ses personnages sans souci d'exactitude géographique ou historique. Attention, je ne dis pas que c'est la grande foire à tout : plus on invente, plus il faut que ce soit cohérent et crédible. Sinon, le lecteur ne suit pas. Mais c'est sympa d'être Dieu chez soi…
Il y a quelques semaines, sur le site L.H.S.F, nous discutions avec Lorris Murrail qui disait : « Le but de la science-fiction, c'est un peu de dénoncer ce qu'il y a devant, pour justement ne pas y aller. » Tu en penses quoi ?
Je pense que c'est un sacré programme, mais que je ne m'inscris pas dans cette ambition. Autant il m'arrive de lire avec plaisir des livres dossiers, défendant une thèse avec talent ou dénonçant dérives et abus sous couvert de l'histoire, autant je dois avouer avec modestie n'écrire que pour le plaisir, auquel s'ajoute maintenant le plaisir d'être lu. En même temps, je ne peux pas écrire contre mes convictions. C'est donc dans les choix narratifs, la trame de l'histoire ou les réactions des personnages qu'on peut me chercher et me trouver. Mais dénoncer… Certes, je trouve que notre époque vit dans une représentation de la violence scénarisée et esthétisée tout en refusant de voir la crudité de l'horreur réelle. L'excès de catharsis remplace l'empathie ou la compassion. Mais ce n'est pas pour dénoncer cela que j'ai évité les scènes violentes ou trop dures dans Aria. C'est plutôt parce que je ne voulais pas entrer dans la course au gore, mettre la barre toujours plus haut dans l'abominable pour bien accrocher le lecteur ou le spectateur par une attraction-répulsion morbide. Pourtant, j'ai bien aimé Saw ou Old Boy.
La majorité des critiques ont fait attention à ton écriture remarquablement maîtrisée et surtout dans le roman tout est écrit au présent. Ici également, ce n'était pas un peu « casse-gueule » ?
Le présent s'est un peu imposé à moi de lui-même. Disons que, dans la nouvelle de départ, je voulais un effet de percussion et d'immersion. Un peu comme ce que j'ai pu lire dans certains romans de James Ellroy (je ne me compare pas au grand homme, bien sûr). Le présent et la première personne m'ont paru être de bons moyens. Après, quand j'ai repris la suite, même si je voulais revenir à une narration extérieure à la troisième personne, je ne me voyais pas écrire quelque chose comme « Le double soleil descendait vers l'horizon et allongeait les ombres sur la plaine » ou « Carl ouvrit un œil curieux sur la pièce sombre qui l'entourait ». Ça ne sonnait pas. La première phrase est arrivée toute seule : « La réalité est ambiguë ». Elle n'a plus bougé ensuite, et a presque donné sa couleur à tout le roman. Chacun peut constater qu'elle est au présent, il me fallait donc poursuivre. À l'usage, je me suis aperçu que le présent apportait des contraintes intéressantes. On ne peut pas avoir de regard extérieur sur la trame, l'auteur est noyé avec le lecteur dans le temps du récit. Ce qui induit des contraintes de point de vue : on ne voit que ce que voient les personnages, au moment où ils le voient. Cela m'a conduit à ne décrire que ce qui avait du sens pour les personnages ou pour l'action (d'où un certain manque d'exotisme déjà constaté). Je sais que je donne un peu l'impression de découvrir la roue avec cette histoire de présent, mais je ne suis pas un théoricien de la langue, juste un praticien… Enfin bref, cela m'a donné pas mal de difficultés (toutes relatives) et de plaisir d'écriveur. Je ne sais pas si mon écriture est maîtrisée, mais elle correspond à une certaine ambition de cohérence et de respect du lecteur. Aussi, quand un éditeur m'a dit que le roman l'intéressait mais qu'il fallait tout réécrire au passé, je n'ai pu qu'éclater d'un rire libératoire. J'ai lu une citation de Claude Ecken qui disait que « on ne peut bien parler du présent qu'au futur. » Eh bien je me suis amusé à parler du futur au présent, na !
Il y a quelques semaines avant cette interview, tu me disais que tu étais en pleine écriture du deuxième volet. Tu peux nous en dire plus ?
Oui, bien sûr… Rassurons d'abord le lecteur : l'histoire d'Aria des Brumes est bouclée, elle a sa fin, pas besoin d'attendre la suite pour savoir. Mais j'ai eu vite envie d'emmener les personnages plus loin : ils ont résolu leurs problèmes, mais leur vie continue. J'ai donc commencé à réfléchir de façon plus large, comme lorsque je pensais au premier volet. Des idées se sont mises en place, des étapes dans une trame élargie qui ferait intervenir d'autres personnages, et surtout d'autres lieux. Dès la fin de la rédaction d'Aria des Brumes, je me suis mis à poursuivre un peu mes personnages. J'avais même commencé à écrire une sorte de prologue. Et puis je suis passé à autre chose… Il y a trois mois, j'ai remis le truc en chantier, et cela s'est passé exactement de la même façon que pour Aria : j'avais un début, qu'est-ce que j'allais en faire ? Même méthode, celle du chapitre donné le soir à mon épouse, avant de lui écrire la suite le lendemain. Maintenant, le premier jet est achevé. Le travail sur Aria avec le Navire m'a aidé à ne pas reproduire les mêmes erreurs, mais j'en ai sans doute commis d'autres. À l'heure où je vous parle, l'éditeur ne l'a pas encore lu… je ne sais donc pas si cette suite lui plaira. De toute façon, je peux déjà vous dire que je me suis bien amusé à l'écrire, et qu'elle est toujours au présent.
Merci Don Lo !
Merci pour tout.