Le deuxième roman de (lauréate du prix du roman FNAC en 2013 avec ) prend la forme d'un roman épistolaire mais l'histoire se déroule aujourd'hui, à une époque où les lettres n'ont plus tellement cours, remplacées par les SMS, mails et réseaux sociaux. Mais peu importe, les lettres envoyées ou non, manuscrites ou pas, postales ou électroniques permettent aux personnages de se dévoiler, d'atténuer la distance, quelle qu'elle soit, d'exprimer solitude, blessures profondes, avec la précision des mots qui s'écrivent et demeurent.
D'abord une femme et un homme. Un couple amoureux séparé pour un mois alors même qu'ils viennent de devenir parents. Tess n'a que quelques jours lorsque son père part en tournée en Europe puis en Amérique. Il est pianiste dans un groupe de jazz de renommée internationale. Absence cruelle pour la mère inexpérimentée et déstabilisée par cette naissance, honteuse de son corps meurtri par l'accouchement, ébranlée par les pleurs de l'enfant, les sentiments maternels qui jaillissent en elle, l'intime fusion qui se crée avec sa fille.
"Tu es parti en laissant en nous un vide silencieux […] Tess a pris toute la place […] Cette petite est devenue mon jardin, mon air, mon atmosphère. Ce qu'elle fait transforme ce que je suis."
Lui, éloigné de l'événement, moins imprégné par ce bouleversement, raconte sa vie en marge, l'ambiance des concerts et de la tournée, son engagement artistique, les nuits blanches où l'alcool, le sexe et la fête, l'euphorie artificielle trompent la solitude, donnent l'illusion de bonheur et de liberté mais décuplent l'angoisse également. Devenir père le ramène à sa propre enfance, ravive des souffrances, exprimées à travers ces lettres.
Puis, progressivement, ces deux voix construisent le récit, dessinent un fil narratif et s'ouvrent à d'autres protagonistes qui, eux-mêmes, vont mêler leurs lettres, dépasser le cadre temporel de l'absence initiale et raconter finalement (avec beaucoup d'ellipses) le couple, depuis la naissance de Tess jusqu'à son départ pour New-York, devenue alors une jeune étudiante.
Un récit sur la transmission, le poids de l'enfance, l'amour, les rencontres ; agréablement écrit, de manière concise et plutôt sensible mais, qui, malgré tout, laisse au lecteur un sentiment mitigé, une impression d'inabouti.
Si les lettres de la narratrice, notamment dans la description de son désarroi et de son bouleversement lorsqu'elle devient mère ("nos corps se désirent, ça me trouble"), de ses craintes face à sa nouvelle responsabilité ("je crois que je vais l'avaler, la remettre dans mon ventre pour que tout redevienne simple"), ou même dans le regard cru qu'elle porte sur son corps modifié, atteignent le lecteur sans détours par leur tonalité juste, celles de l'amant, du mari-artiste résonnent avec moins de force, ennuient même parfois et ne parviennent pas à émouvoir le lecteur, plus détaché de ce personnage (pourtant fragile) et alors moins convaincu.
Quant aux personnages secondaires, révélés par deux ou trois lettres seulement, ils restent, hélas, à distance, comme en projet, sans réelle dimension pour séduire le lecteur et apporter une réelle intensité au roman.
Au-delà de ces réserves, le texte, dans le regard lucide et sensible qu'il porte sur la maternité, ne déçoit pas.