Des années les plus sombres du XXe siècle, Ernst Jünger (1895-1998), écrivain controversé, est un témoin unique.
Engagé volontaire héroïque et blessé à quatorze reprises, il obtient à la Première Guerre les plus hautes distinctions. La seconde lui en vaut d'emblée une nouvelle.
Exit les combats en premières lignes. Adjoint à l'état-major de Paris, il tient dans les salons des collaborateurs le rôle de l'occupant cultivé et de l'ennemi chevaleresque. Et comme de 1914 à 1918, il consigne ses activités dans un journal, qu'il poursuit jusqu'en 1948.
Ses années passées à Paris en tant qu’occupant :
Le premier tome présente non pas un journal, mais un ensemble de textes parus à partir de 1920. Remaniés au fil des éditions pour en supprimer les passages pouvant favoriser le nazisme, que Jünger abhorre, ils atteignent en 1943 un tirage de plus d'un demi-million d'exemplaires. Visant à rendre justice aux combattants de la Première Guerre et à raviver la fibre patriotique, ils manifestent un nationalisme revendicatif. La guerre y est dépeinte au plus près.
A Paris avant 1945, Jünger visite bibliothèques, musées et théâtres, «butine dans des siècles d'érudition», a sa place chez Florence Gould, se lie avec Guitry, «personnalité tropicale», fréquente les Jouhandeau et Cocteau «tourmenté comme un homme séjournant dans un enfer particulier». Il croise Jean Marais et Arletti. Mais le sort des Parisiens ordinaires le préoccupe peu. Jusqu'au débarquement du moins.
Retour sur une fin de guerre :
Après l'armistice de 1945, la guerre passe à l'arrière-plan. Jünger relève des activités multiples. En entomologiste réputé, il se livre à des «chasses subtiles», il lit la Bible, commente une incroyable quantité de livres, évoque des souvenirs et des fabuleux paysages oniriques.
Revenu en Allemagne, il rend compte des derniers combats, de l'arrivée des Alliés, de l'afflux des réfugiés et de sa réaction devant l'horreur des camps, qui inspire aussitôt des réflexions générales. Et il en ajoute d'autres sur la capitulation et la justice des vainqueurs, sur «la forme absolue de la guerre réelle», sur la banalisation du mal qui, représenté par la minable figure de petit-bourgeois d'Himmler.
Journaux de guerre. Tome 1: 1914-1918. Tome 2: 1939-1948 de Ernst Jünger aux éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade (coffret deux volumes, 2248 pages, 100 €)