Blandine Duquet

Avril 1900. Exposition universelle. Un Paris en effervescence. Un Paris qui se cherche dans la modernité. Un Paris où le monde des ouvriers et des artisans se voit reléguer à la périphérie de la capitale, dans ce que l'on appelle « La Couronne ».
Pierrot est un jeune garçon de douze ans, livré à lui-même, vivant de débrouille, de vols, aidé par ses deux amis Goupil et le Verveur. Leur monde, c'est celui des Apaches, celui des ouvriers, des miséreux, installés dans la zone, une bande de terrain vague situé au-delà des anciennes fortifications. Mais rien ne va plus. Après la disparition de Victorine, une jeune fille de 18 ans aux boucles blondes, la police est sur les dents, et dans le troquet de Gudule, les regards se font inquisiteurs. L'inspecteur de la Sureté, Hubert Feuillade épie et guette, soupçons à l'appui sur un dénommé Chauffeur, un habitué des lieux. Dans l'univers de Pierrot, un rayon de soleil, Blandine, une jolie lavandière âgée de dix-huit ans dont il est tombé amoureux fou. Coup de théâtre, un nouveau crime est commis, un inconnu s'attaque aux jeunes femmes des quartiers populaires, et les journaux annoncent : « Le mystérieux frappe à nouveau ». Mais voilà, qui se cache derrière ce sobriquet ? Et le pire, Pierrot s'aperçoit que Blandine pourrait bien devenir la prochaine victime…
Un intrigant roman policier de Stéphane Tamaillon qui vous plonge dans ce Paris en marge, où l'on côtoie non seulement la vie des poulbots, « Le pire bastion de la vermine », mais toute une frange de la population qui a élu domicile dans cette capitale en quête de progrès techniques et d'industrialisation. C'est aussi une écriture vive où l'on retrouve le langage des rues de l'époque. Un roman jeunesse palpitant, rempli de fausses pistes et de rebondissements qui vous laissera en suspens jusqu'à la dernière page.
Un vrai moment de plaisir.

« Avoir une nationalité, un amant, une famille, un collègue, un voisin… la mère voit bien que toutes ces attaches sont fondamentalement absurdes, étant donné qu’elles sont accidentelles – mais elles sont en même temps les tyrans de toute vie. » 

Blandine Watkins, mystique fascinante, vit avec trois colocataires dans un HLM d'Indiana. Victime d'un passé troublé et de relations tendues, elle trouve refuge dans la spiritualité pour surmonter l'âpreté du monde. Tess Gunty, dans son premier roman « Écoutez-moi jusqu'à la fin »,lauréat du National Book Award 2022, dépeint l'Amérique postindustrielle et ses victimes du capitalisme par une multitude de points de vue. Humour, bizarrerie et réalisme magique s'entrelacent pour illustrer les ravages sociaux, économiques et culturels de cette Amérique dérangée. Une œuvre dense sur la solitude, la fragilité, et la quête de liberté. 

Très accessible et sans longueurs, ce roman graphique s'inspire de la vie de l'écrivain danois et offre au lecteur un récit sensible, entre histoire d'amour et d'aventures. A la fois documenté, instructif et divertissant, mais surtout très beau, il emmène le lecteur en voyage à travers le temps et les idées du début du XXème siècle, du Danemark jusqu'au Kenya, aux Etats-Unis, et s'il s'imprègne d'une ambiance assez mélancolique, parfois triste, il rend compte avec force et beaucoup d'admiration d'un destin de femme assumé, profondément libre et indépendant. Irrésistible et déterminé.

L'histoire, initiée comme un conte revêt vite un aspect plus réaliste et les somptueuses aquarelles de Terkel Risbjerg, aux teintes délavées, limpides et délicates, illustrent avec naturel, sans excès, cette destinée féminine et séduisent d'emblée.

Une immersion immédiate au cœur d'une histoire passionnante et convaincante, sentimentale et très attachante, suffisamment révélatrice et expressive de l'œuvre de l'auteure danoise pour susciter, ensuite (et presque à coup sûr), de nouveaux appétits littéraires.

A partir d'événements choisis et représentatifs de la vie de Karen Blixen, Anne-Caroline Pandolfo met en scène un personnage très étonnant, intensément romanesque, et parvient à saisir l'essentiel de ce qui le constitue, le façonne et le conduira, inexorablement, à devenir écrivain, dans la deuxième partie de son existence.

Une enfance danoise, entre rigueur morale et rêves de voyages lointains, durement éprouvée par le suicide d'un père adoré. Une jeunesse à l'étroit dans un manoir, qui s'émancipe grâce à la littérature et à la philosophie. Romantique et sensible, Karen s'éprend puis se méprend d'un homme qui la conduit jusqu'en Afrique, où elle se révèle vraiment, lumineuse et épanouie. Malgré un mari volage auprès duquel elle contracte la syphilis, elle ne renonce ni à sa liberté ni à son indépendance et rencontre un aristocrate anglais auprès duquel elle vivra une passion amoureuse exclusive et rare. Mais cruellement écourtée. 

De chaque épreuve endurée, Karen Blixen se construit, rentre au Danemark et devient écrivain, d'abord honorée outre-Atlantique avant d'être reconnue par les siens jusqu'après sa mort en 1962. Elle a alors 77 ans.

Volontairement elliptique, égrenée avec parcimonie de quelques citations de Karen Blixen, La Lionne, au rythme fluide et à l'écriture concise et sans emphases, a su saisir avec beaucoup de grâce, toute la flamboyance d'une femme aventurière, exceptionnelle et magnétique. De plus, ce récit  convainc le lecteur, avec envie et exaltation, qu'il est possible d'agir sur sa destinée propre. Karen Blixen en est la preuve. Le voilà séduit.

nous laisse pénétrer les premiers dans une chambre vide, seulement esquissée par quelques traits, qui a la particularité non négligeable d'avoir un gros trou en plein sur son mur. La porte s'ouvre sur la page suivante, laissant entrer son occupant en plein emménagement et affairé autour de ses cartons. Lorsque ses yeux finissent par se poser sur cet énorme et étrange trou, c'est la panique. Impossible de s'en débarrasser, il s'immisce dans chacune des pièces de son appartement !

Cette situation ne pouvant s'éterniser, notre héros sollicite l'aide de scientifiques pour s'en débarrasser. Leur proposition n'est pas des moindres : le capturer pour l'emmener chez eux et le soumettre à des tests de laboratoire. Le temps d'un trajet, le trou vient se loger habilement dans le décor de la ville, jusqu'à ce que les spécialistes s'occupent de son cas... momentanément.

Le trou est un livre délicieusement contemplatif. Les personnages de Oyvind Torseter n'y sont pas très loquaces. Ce sont les images qui, d'un coup de crayon simple et précis, emportent la lecture comme s'il s'agissait d'un  petit film d'animation. L'originalité de cet album est bien sûr ce trou, qui perce réellement le livre, et autour duquel les illustrations s'amusent non sans complicité avec le lecteur. Un bel objet insolite, qui plus est sacrément drôle, qui ravira les amateurs de livres hors norme !

Vallée du Nil, petite ville de Coptos, il y a plus de 2000 ans. Chabdi, oncle du très jeune Djar, a disparu voilà quelques semaines. Son jeune neveu décide de partir à sa recherche. Pour cela il doit se rendre à Thèbes, tout seul, malgré son âge et son inexpérience. Arrivé là-bas, il commence à interroger les différentes personnes qu'il croise. Un jeune serviteur lui apprend que son oncle a bien été vu dans la ville, mais qu'il ne peut lui en dire plus par peur des représailles.

Le jeune Djar comprend alors que la disparition de son oncle est de mauvais augure et qu'elle ressemble plutôt à un enlèvement… Des questions se bousculent alors dans sa tête: et si son oncle, grand architecte, spécialiste en tours de magie et installation de pièges, avait été enlevé pour construire un temple secret ?

Malgré un récit rythmé, des personnages vifs, et une écriture limpide, manque une chose essentielle dans la lecture : nous étonner et nous ravir. On aurait aimé plus de surprises, d'obstacles et de rebondissements.

Il faudrait sans doute y ajouter une petite pincée de magie noire à ce Magicien du Pharaon et un soupçon de mystère égyptien pour nous séduire totalement. D'ordinaire, la lecture est un enlèvement au cours duquel l'auteur et le lecteur marchent main dans la main, mais ici le kidnapping semble malheureusement manqué.

En décembre dernier, j'ai eu le privilège de participer au jury du prix René Goscinny qui fait la part belle au métier de scénariste (en toute logique !) et qui sera remis la semaine prochaine.

Après de longs débats, nous avons couronné deux œuvres singulières, très différentes l'une de l'autre mais qui se rassemblent par l'ambition artistique qui les traverse.

Le prix du scénariste fut attribué à Thierry Smolderen pour "Ex Machina" (Dargaud), curieux et délicieux album dont la sortie m'avait échappé. Smolderen développe un récit réflexif mêlant espionnage et polar sublimé par les dessins de Jorge Gonzales. Captivant, habile et très drôle, on sent un auteur en pleine maîtrise de ses moyens et qui s'amuse à construire une intrigue bien ficelée où les références abondent avec légèreté.

Le prix du jeune scénariste fut de son côté décerné à Mieke Versyp pour "Peau" sorti chez Ça et là. Dans ce très bel album, l'autrice belge, évoluant davantage dans le milieu du théâtre, compose deux portraits de femmes extrêmement touchants. Développant un langage poétique singulier, elle déploie un récit éminemment subtil et sensible au sein duquel elle interroge la quête de l'équilibre, de l'épanouissement personnel ou encore le rapport amoureux à différents instants de la vie.

Les échanges furent absolument stimulants, animés et leurs trajectoires étonnantes. Qu'il fut agréable de parler de bande dessinée, qui plus est d'albums que nous avions tous lu, avec des personnes passionnées et passionnantes !