Le défi était grand pour , journaliste et biographe du footballeur Zlatan Ibrahimovic de poursuivre la série policière Millénium de sans décevoir ni essuyer les commentaires acides des lecteurs et critiques face à une manœuvre jugée d’abord commerciale avant que d’être littéraire.
Si la publication fastueuse et simultanée du roman dans 25 pays n’a échappé à personne, si elle figure encore dans les meilleures ventes de livres en France, elle n’a pas forcément occupé les médias de manière exagérée, comme si les critiques (sans doute un peu hostiles au départ) étaient devenues brusquement mal à l’aise face à un livre qui, au final, mérite son succès.
Ainsi ce quatrième volume, créé d’après les personnages de Stieg Larsson, efficace et complexe, absolument dans l’air du temps ne déçoit pas, captive par son intensité dramatique et son rythme vif, une intrigue haletante très resserrée dans le temps, habilement construite et très fluide. Les personnages de Lisbeth Salander ou de Mikael Blomqvist comme les principaux personnages secondaires (familiers ou nouveaux) possèdent de l’envergure et de la vraisemblance, restent convaincants dans l’action comme dans l’analyse, capables de bluffer et dérouter le lecteur, de le tenir en haleine près de 500 pages sans temps mort ni réelle déception.
Une histoire compliquée, impossible à résumer d’ailleurs, qui entraîne le lecteur des Etats-Unis jusqu’en Suède, se situe au cœur des services internationaux de surveillance et de sécurité, de la NSA à la Säpo, à l’ère du numérique, de l’intelligence artificielle et de l’espionnage industriel, pénètre les réseaux criminels de hackers corrompus, immerge le lecteur dans des formules mathématiques d’équations et de courbes elliptiques incompréhensibles mais entêtantes, le confronte à l’intelligence déconcertante d’un jeune garçon autiste, n’abandonne pas le journalisme d’investigation et l’équipe de Millénium, préoccupée par son renouvellement, son indépendance fragile et menacée, ranime les traumatismes de Lisbeth, offre de nouvelles révélations sans pour autant délaisser le lecteur qui n’aurait pas lu les tomes précédents.
L’habileté de David Lagercrantz est sans doute d’être capable de rapporter, sans trop de lourdeur (même si certains de ces passages sont assez longs et freinent un peu l’action) des événements importants survenus lors des épisodes anciens, d’être précis et érudit dans les thèmes qu’il développe, d’utiliser des personnages attachants connus du lecteur (Jan Bublanski, Sonja Modig, Holger Palmgren…), d’intégrer avec naturel de nouveaux (Ed the Ned, notamment ou Frans et August Balder) et de leur offrir la même force, capable alors de séduire à la fois les lecteurs inconditionnels et les éventuels nouveaux.
La construction narrative, morcelée, suit plusieurs histoires en parallèle, crée le suspense et la tension par l’alternance des intrigues, oblige à poursuivre sans relâche. Et si l’on peut peut-être regretter que le duo d’enquêteurs (Mikael et Lisbeth) ne collabore pas vraiment, reste un peu à distance l’un de l’autre ; si l’on peut parfois lâcher prise sur les raisonnements mathématiques ardus pour un non-initié, si certains personnages plus secondaires manquent de profondeur (Farah Sharif ou encore Gabriella Grane), si le style efficace et visuel est sans charme réel , la complexité de l’histoire et les liens inextricables entre les intrigues parallèles forcent l’intérêt et l’adhésion au récit.
Le lecteur est entraîné tellement loin dans la recherche, les interrogations et les fausses pistes, doit solliciter son esprit avec tant de vivacité et ce, jusqu’au terme du roman, qu’au moment où tout s’éclaircit, il est littéralement sonné et enthousiaste. Convaincu que Millénium n’a pas tout dit et existe encore, bien vivant, même dix ans plus tard.
En tout cas, pour David Lagercrantz, la reconnaissance est là, au-delà des frontières suédoises puisque son roman sur le mathématicien Alan Turing, publié en 2009 sortira prochainement en France chez Actes Sud.