Si vous pensez qu'une BD est un livre qui se déroule de la première à a dernière case, dans l'ordre déterminé par l'emplacement des pages, voici un petit livre hors norme qui vous aidera à élargir votre définition du genre.
Dans Vanille ou Chocolat, Jason Shiga vous propose non pas une histoire, mais... 3856 parcours différents dans le même univers. La méthode de narration est bien celle de la bande dessinée : on circule d'une case à l'autre, en suivant les personnages, et on lit les textes dans les bulles. Cependant, pour savoir quelle case lire après celle qu'on vient d'achever, on suit un trait de couleur, qui nous invite à circuler en tous sens, à passer d'une page à l'autre, sans respecter du tout l'ordre habituel de gauche à droite et de haut en bas. Après cinq minutes de lecture et quelques essais erreurs, on est dans le bain et on avance sans effort. On suit le trait de couleur et les aventures d'un gamin à casquette. De temps en temps, la ligne de lecture se divise en deux et permet d'opérer un choix : vais-je laisser le personnage fouiller l'armoire de la salle de bain ou vais-je l'obliger à rejoindre le laboratoire sans détour ?
Vanille ou chocolat ?
Tout démarre d'un premier choix essentiel et existentiel. Le petit héros, face au marchand de glace, est confronté à une alternative : vanille ou chocolat ?
Selon que vous choisirez l'un ou l'autre parfum, le destin de votre personnage sera bien différent. Avec la vanille, vous achèverez la lecture de l'album en quelques cases... Avec le chocolat, des crampes terribles secoueront tout votre système digestif. Il vous faudra trouver d'urgence un lieu où soulager vos entrailles...
Sans dévoiler les méandres du récit en détail, on peut juste signaler que notre petit héros amateur de crème glacée devra se dépatouiller au sein du laboratoire d'un savant génial : lire dans les pensées, déchiffrer des codes secrets et voyager dans le temps.
L'aventure vous tente ? N'hésitez pas, le voyage mérite le détour.
Labyrinthe en trois dimensions et plus
Bien entendu, on est ici à mi-chemin entre la simple lecture et le jeu et c'est ce qui fait tout le sel de cet album très coloré. L'histoire n'est pas imaginée pour qu'on la parcoure d'une traite, mais pour qu'on l'explore par à-coups, qu'on y revienne et qu'on tente un parcours différent, jusqu'à tomber sur la bonne combinaison, celle qui permet au petit bonhomme de ne pas mourir dans d'atroces souffrances. Parce que c'est bien là le point de chute de la plupart des parcours : le gamin à casquette se fait désintégrer, broyer, exploser et tout est à reprendre...
Étonnamment, la relecture est un vrai plaisir : remonter le fil du temps, chercher à agir autrement, trouver l'élément qui manque est un objectif passionnant. La lecture prend en effet toute son ampleur non pas au premier passage, mais au deuxième, au troisième ou au quatrième : quand on prête vraiment attention à chaque détail pour comprendre où l'on a opéré le mauvais choix.
On n'ose imaginer comment Jason Shiga a procédé pour élaborer l'arborescence qui sous-tend l'album, comment il a réussi à caser tous ces parcours dans l'espace tri-dimensionnel d'un simple album BD mais on reste bouche bée devant certaines pages dont l'agencement, aussi complexe que celui des circuits imprimés d'une machine électronique, donne le vertige, ou devant d'autres où le trait coloré, joliment travaillé, devient motif décoratif entre les cases.
Avec des éléments narratifs simples, un dessin assez rudimentaire et une mise en couleur audacieuse, Jason Shiga construit un livre complexe, non pas ouvert mais très fermé, où le lecteur vient s'égarer, se retrouver et se perdre.
Un labyrinthe en bande dessinée, que savoureront de bout en bout les amateurs de lectures hors du commun.