Il y a bien des points communs entre Kiki de Montparnasse et Luisa Casati : leur statut de muse pour des écrivains, peintres ou photographes emblématiques de l'avant-garde au début du vingtième siècle. Un mépris des conventions sociales autant que des "bonnes mœurs". Et une fin misérable au terme d'un parcours les menant de la gloire à l'oubli...
chronique BD avec BDfugue
Mais si Kiki rédige ses mémoires, Luisa Casati ne laisse aucun témoignage direct. Vanna Vinci qui signe chez Dargaud éprouve bien des difficultés lorsqu'elle veut aller au-delà des anecdotes - innombrables - que rapportent les amis de la scandaleuse marquise et faire un travail d'historienne.
Née vingt ans avant Kiki, morte peu de temps après elle, Louise Amman fait partie d'une des familles les plus riches d'Europe ! Bien loin du ruisseau d'où s'extrait Kiki à force de volonté... C'est une petite fille réservée, mais douée pour le dessin et qui voit ses parents disparaître prématurément.
Épousant Camillo Casati, elle devient marquise et fréquente l'élite artistique autant que mondaine. Et si Kiki de Montparnasse adopte vite le look "garçonne", moderne et un brin provocateur typique des années vingt, Luisa Casati cultive une apparence sans équivalent à son époque !!! Des cheveux couleur orange, des yeux ornés de faux cils démesurés et soulignés par des bandes de velours noir. Habillée par les plus grands couturiers, mais portant des serpents vivants autour du cou et se promenant avec des guépards en laisse !
LA CASATI ; LA MUSE EGOÏSTE
VANNA VINCI
Se considérant comme une œuvre d'art vivante, elle invente le concept de performance artistique bien avant que le terme apparaisse. Elle cultive l'insolite, adore surprendre jusqu'à choquer. Chacune de ses apparitions est un spectacle, qui confine au délire lors des fêtes et des bals costumés qu'elle donne dans ses palais à Venise, Capri et en région parisienne. Dans ses résidences, elle accumule des objets variés, de préférence coûteux.
Et sa vie sentimentale ? Luisa Casati couche avec des hommes et des femmes, sans s'attacher, mais avec passion : elle fascine et fait souffrir son mari, ses amant(e)s, ses amis, elle ne connaît que l'excès, et la spirale de la surenchère finit par la ruiner. Lorsqu'elle termine sa vie à Londres, dans les années cinquante, elle n'est plus que la caricature d'elle-même, diminuée par la vieillesse et la drogue.
On peut la trouver grotesque, mais elle ne se plaint jamais et reste persuadée d'être unique. Immortelle ? Contrairement à d'autres célébrités de son temps, elle est largement oubliée du grand public. Pourtant, son nom peut ressurgir au hasard d'un tableau, d'une photo et même d'un roman ou d'un film de cinéma.
Voire d'un défilé de mode haute couture...
La Casati, passionnée de sciences occultes a, je trouve, un aspect quelque peu... fantomatique dans l'album de Vanna Vinci. Ainsi représentée, lorsqu'elle est au sommet de sa gloire et de sa beauté, sa pâleur spectrale a quelque chose d'inquiétant.
{CARROUSEL}
Arrivée au terme de sa vie, elle semble être une apparition, surgie d'un passé fabuleux !!! Les couleurs subtilement délavées créent un climat vénéneux et maladif très prenant, alors que le dessin proprement dit manque un peu de vigueur à mon goût. Mais il n'y a là rien de rédhibitoire et ne doit pas vous empêcher de découvrir ce personnage ahurissant, cette femme totalement exhibitionniste, d'une impudeur à la mesure de son incroyable timidité !
Un classique phénomène de compensation psychologique...