Fatalisme historique ; labilité des personnages dans le temps. Hauteur de vue exceptionnelle – celle du narrateur qui dit « nous », en parlant des Russes, et s’invite dans les consciences en joie ou en peine, au paradis ou en enfer –, qui sonde les cœurs et les reins avec une intelligence parfaite car ouverte, encline à l’amour, au pardon.
On rêve toujours de discerner le Bien du Mal et de voir une justice divine éclairer les vies humaines et l’Histoire. D’une éthique si élevée qu’elle délivrerait un sens supérieur mais qui ne serait ni figée ni au-delà de l’existence, qui s’y trouverait, immanente, à même l’être vivant. Or le roman peut y tendre, dans ses cimes miraculeuses.
La Guerre et la Paix, de Léon Tolstoï (traduction de Boris de Schlœzer, éditions Gallimard, 1972), l’a fait, tout comme À la Recherche du temps perdu, de Proust. Dans les deux cas, dans le temps, historique et subjectif, le bien et le mal s’avèrent relatifs, à fonds multiples. Du point de vue humain, il n’y a pas d’absolu. Et si les philosophies et les esthétiques des deux auteurs diffèrent, elles ont un point commun : leur limpidité. À ce niveau de lumière, d’ailleurs, on touche au cristallin.
Vladimir Nabokov, ennemi déclaré de l’obscurité, ne les prisait pas pour rien. Ils incarnaient à ses yeux les puissances apolliniennes du roman, son aptitude à voir clair, résolument.