Non, les Normands ne sont pas que des brutes décérébrées, et je sais que je ne me ferai pas que des amis en affirmant le contraire. C’est aux environs de 827 que débute la conquête arabe de la Sicile, qui imposera leur présence jusqu’en 1091, avec un fait majeur, en 1060 : la conquête de l’île par les Normands. Ainsi, historiquement, on situe entre 1130 et 1194, le règne du royaume normand féodal. Voilà pour les petits faits d’histoire…
Ensuite, il faut savoir que Le Hors venu n’est pas une réédition, mais un inédit s’inscrivant dans le cycle de La Saga de Tancrède le Normand et d’Hugues de Tarse. Du savoureux pour ceux qui attendaient la suite des aventures.
Mais enfin, au royaume de Sicile, tout ne va pas pour le mieux : Tancrède de Lecce est enfermé dans les geôles de l’émir des émirs, Maion de Bari, en compagnie d’une tarentule. Mais peut-être ces noms ne vous sont-ils pas inconnus : et d’ailleurs, si c’était le cas, un bref lexique des personnages, avec une biographie historique vous attend en fin d’ouvrage. Et figurez-vous qu’une tarentule se révèle d’un exquis et précieux lorsque l’on mûrit de se venger… Avec l’appui de Théodora qui règne sur le harem, confidente et favorite du roi, mais maîtresse de Tancrède, il compte bien faire payer les mois passés à dépérir dans cette bauge croupissante, au milieu de ses excréments. La prison royale n’a rien d’un lupanar et les torturés, tombés en disgrâce aux yeux du roi n’ont souvent même plus leurs yeux – brûlés – pour pleurer.
De leur côté Tancrède d’Anaor, ignorant tout ou partie de sa parenté avec Tancrède de Lecce revient avec son maître Hugues de Tarse dans la ville de Palerme. Fils aîné de Roger, duc de Pouilles, lui-même fils de Roger II, comte de Sicile devenu roi (ou antipape en 1130), Tancrède d’Anaor est l’héritier légitime de la couronne, celui qui devra siéger. Parvenus dans une ville de Palerme secouée par la violence, les retrouvailles se font avec les amis, mais avec les autres aussi. Et pour un héritier, les embûches ne manqueront pas.
Entre les manigances qui se trament depuis le harem, surveillé par un eunuque, le Caïd Pierre, et les assassinats qui se déroulent au sein même du palais, l’inquiétude règne. D’autant qu’un eunuque a été égorgé et qu’on lui a dérobé les clefs du harem. Puis le criminel s’est attaqué au symbole même de la royauté en dérobant la couronne, le kamelaukion. Dès lors dans les couloirs, on murmure des histoires qui font peur aux adultes. On parle d’une secte formée par le Vieux de la montagne, celle des Achichins, ou Assassins, drogués et sans volonté. Un fidâ’i, disciple de cette secte maudite rôde-ti-l dans le palais ? Quel est alors son but ?
Hugues et Tancrède, non contents de jeter le trouble dans une ville agitée, vont devenir le point de convergence de toutes les attentions. Et sauver leur vie, en démasquant les criminels.
Et pour tenir un tel programme, il fallait du contenu. Dans la série roman historique, inspiré de faits ou des circonstances réelles, et dans lequel les héros évoluent, la Saga de Tancrède ne manque pas d’atouts.
D’abord, son univers palermitains est rendu avec une agréable ambiance, pas vaguement exotique. On y ressent les influences conjointes de la féodalité normande et de sa cohabitation avec les musulmans présents depuis leur conquête de la Sicile. Bien évidemment, l’historien pourrait froncer les sourcils, mais le plaisir de la lecture compense les largesses prises. D’autant que la Saga n’a jamais revendiqué une authenticité millimétrée…
Ensuite les personnages sont attachants, que ce fût dans leur machiavélisme, leurs travers ou leur constance. Chacun poursuit son but, et les destinées se croisent, sans hasard, mais au fil d’événements coïncidents que nul ne maîtriserait. Tancrède rencontrant Tancrède, sans qu’ils se sachent frères, Hugues retrouvant un frère d’armes et un ennemi mortel…
Et pour la couleur locale, nombre de petits mots doux sont glissés en italique et en arabe, ajoutant un effet appréciable au décor. D’autant qu’un bref lexique nous guide dans ces termes et en donne une définition correcte. Reste que oui, il faut pratiquer l’aller-retour entre son chapitre et la fin du livre. Mais bon, on peut aussi choisir de les ignorer et se laisser emporter par l’ignorance. Moi, je supporte pas ça, mais bon.
Enfin des cartes, des indications spatio-temporelles en début de livre, tout est réuni pour créer un univers complet et solide. Ça marche plutôt pas mal, et quoique l’on sache comment le livre finira, peu ou prou, on se surprend à en attendre la suite…