La lumière inonde ce livre. A chaque page, malgré l'hiver ou le froid, l'obscurité polaire, la tristesse, le désespoir, surgissent des images lumineuses, souvent furtives, adoucies, protégées de toute indécence ou indiscrétion.
Avec une grâce éblouissante, une écriture poétique apaisante et délicate, dont le lecteur s'empare naturellement, raconte la folie d'un père, le mal de vivre, son internement à l'asile, l'amour inconditionnel de sa fille envers lui, les déchirures familiales, l'atavisme redoutable. Tout cela sans effroi.
De ce récit émane en effet une immense tendresse, une profonde bienveillance, puissantes à saisir l'intime fragilité humaine, l'angoisse insurmontable, le désir de mort comme l'excès d'émotions, la nostalgie du lieu et de l'enfermement ("Je me sens ici chez moi, jamais ailleurs je n'ai éprouvé cette sensation").
D'une construction subtile, faite d'aller-retours entre les souvenirs de Jackie, enfant, adolescente puis adulte devenue mère ; eux-mêmes entrecoupés d'informations documentaires sur le lieu emblématique de l'Etat providence suédois, elles-mêmes enrichies par des chapitres où la voix énigmatique et onirique d'Olof, le dernier patient, envoûte, bouleversante ; l'histoire, par-delà ces entrelacs temporels et narratifs, n'échappe pourtant jamais au lecteur.
De courts chapitres clairement délimités offrent une belle limpidité au récit, un rythme agréable, un équilibre dans les voix. Formellement rassurants, ils contiennent la folie, la déroute des sentiments, les conduites suicidaires, la sensation de vide, de gouffre intérieur et de chute libre, les expriment sans férocité ni tragique. Avec une retenue qui happe. Magnifique.
Dans le pavillon des "Grands Mentaux Hommes" de l'hôpital psychiatrique de Beckomberga, séjourne Jim, le père de la narratrice, suicidaire et alcoolique. C'est d'abord avec sa mère Lone, qu'elle rend visite à son père puis, devenue adolescente, alors que Lone se détache de Jim, elle continue à venir chaque jour dans ce lieu étrange et fascinant, "à la fois modeste et monumental, grandiose" où l'on croise même Olof Palme.
Attentive à la nature qui l'environne, aux ciels changeants, aux couleurs chatoyantes, aux différents patients qui séjournent ici, elle s'intègre dans cet endroit, respire les odeurs, entend les souffrances, accompagne le désarroi et le chagrin de son père, trouve une place. Jusqu'à la sortie de Jim où elle le perd de vue pendant 20 ans, puis le retrouve, quelque temps après la naissance de son fils, Marion. Et se souvient.
De l'impossibilité d'être heureux, de la difficulté d'aimer, de l'incessante crainte de sombrer, de la maladie incurable, de l'extrême solitude, la narratrice, précise et sincère, ajuste les mots, préserve, met à distance, mêle le rêve à la réalité, mais conserve une vision incandescente et mélancolique d'une existence incontrôlable et immensément douloureuse. D'un impossible combat.
Le lecteur est imprégné par l'esthétisme de la prose, libérateur et salvateur ; il est conforté sans cesse par la lumière permanente qui réchauffe chaque instant, chaque souvenir et contrebalance magistralement la noirceur tourmentée des personnages