Parfois, je range ma bibliothèque... et je retrouve un album dédicacé il y a bien longtemps ! Octobre 1992, festival BD de Chambéry. L'invité d'honneur se nomme Enki Bilal, et le lieu qui abrite expositions et dessinateurs est bien au diapason de son univers : c'est un sous-sol !!! Je me promène avec mes albums sous le bras, et je profite de ce que Riff Reb's n'est pas très occupé pour lui faire dédicacer le dernier
Occupé, il l'est si peu qu'il discute avec son voisin et dessine un personnage qui n'a rien à voir avec l'histoire ! Pas grave, il lui rajoute une bulle où il dit : "Qu'est-ce que je fous là ?" Excellent !!! Malgré tout, celui que je ne veux rater à aucun prix, c'est Marc-Antoine Mathieu, dont le deuxième volume des aventures de Julius Corentin Acquefaques, prisonnier des rêves (Delcourt) vient de sortir. Je peux parler tranquillement avec lui, il est peu connu à l'époque : on est encore loin de 3 secondes (Delcourt), évènement médiatique en 2011.
T.1 L'origine
Je découvre un homme sympathique et cultivé, au profil atypique dans le monde de la bande dessinée, car il est également scénographe, et je lui confie ma passion pour ses livres qui respirent l'intelligence et la drôlerie. Acquefacques, c'est - au sens propre et phonétique du terme - Kafka à l'envers : le même univers bureaucratique et absurde, mais sous un angle rigolo. Ledit Julius Corentin est donc fonctionnaire au ministère de l'humour (sic), chargé d'évaluer le potentiel comique de nouvelles histoires supposées drôles.
Il habite dans un minuscullissime appartement et crise du logement oblige, n'a pas d'autre choix que d'être célibataire. "Une femme, c'est trois unités d'espace vital en moins", comme le lui rappelle son voisin de palier (stricto sensu : il vit sur le palier !) Dans L'origine, premier album de la série, il reçoit sous pli et à intervalle régulier une planche de BD racontant ce qu'il est en train de vivre. Fortement perturbé, il demande conseil à ses amis Edmond et Sigismond Dalenvert qui eux, habitent un gigantesque appartement. Avec une contrepartie : c'est en fait une cage d'ascenseur dont il faut laisser passer la cabine 50 à 60 fois par jour en démontant le plancher à toute vitesse.
T.3 Le processus
Mais la vérité est ailleurs, dans un univers parallèle tridimensionnel dont une "anti-case" nous donne un aperçu !!! Une case de l'album est évidée, ce qui amène un personnage à redire page 42 ce qu'il a dit en page 40, et Julius à se répéter en page 41 et 43. Rassurez-vous, c'est beaucoup plus simple à lire qu'à expliquer, franchement bidonnant et tout à fait vertigineux ! Dans La qu..., deuxième album de la collection, c'est Le procès de Kafka qui est parodié : Julius est condamné pour un tiroir laissé ouvert pendant une inspection des contrôleurs de l'espace vital. Il doit traverser le Rien (ce qui n'est pas rien) pour découvrir... une autre réalité ?
Si vous êtes par mes propos alléchés, Le processus, Le début de la fin du début ou La 2333ème dimension poursuivent et renchérissent dans cette voie ironique et surprenante : une page se déploie en accordéon, formant un kaléidoscope, la fin d'un album nous amène à le relire à l'envers, un chapitre est soudainement en relief etc. Marc-Antoine Mathieu est un joueur, au sens le plus noble du terme, un acrobate qui jongle avec les codes narratifs de la bande dessinée, un virtuose qui use de toutes les potentialités que contient ce médium. Arrêtez de me lire : lisez-le lui !