Auteur précoce puisqu'il commence à écrire pour la presse new-yorkaise à l'âge de 15 ans, a 25 ans lorsqu'il publie ce roman, inspiré d'un premier séjour en hôpital psychiatrique où, encore adolescent, il est soigné pour dépression.
Avec tendresse, humour et dérision parfois, le livre raconte la souffrance mentale, la décrit avec une précision émouvante mais sans pathos ni intensité dramatique, plutôt joyeusement d'ailleurs et s'il livre une expérience très personnelle de la maladie, au final, les chemins thérapeutiques empruntés restent assez ordinaires et plutôt classiques. Mais éclatants de sincérité.
Craig vit à Brooklyn avec sa famille. Une petite sœur adorable et très intelligente et des parents attentifs et protecteurs. Mais, depuis quelque temps, son existence se trouble et ni l'herbe, ni l'alcool consommées entre copains ne l'aident à voir plus clair et à donner du sens à ce qu'il fait.
"J'ai le sentiment d'être englué dans une masse d'air épaisse, oppressante."
"En mode prépa", depuis qu'il a intégré une prestigieuse école à New-York, il est en état de stress permanent, anxieux et peu confiant. Il voudrait "prendre ses distances avec son cerveau". En vain. Les séances avec la psychothérapeute, l'antidépresseur prescrit ne contiennent plus ses angoisses. Manger et dormir sont devenus des épreuves redoutables ("je ne mange pas, je ne dors pas. Je ne fais que gâcher de l'oxygène pour rien"). Etudier devient impossible. Aussi, Craig ne voit-il qu'une solution : "je vais me suicider […] C'est la seule chose qui m'aide encore à tenir. Savoir que cette possibilité existe. Que je suis assez déterminé pour passer à l'acte et réussir."
Malgré un plan d'action efficace (tragiquement drôle), Craig se laisse surprendre par une soudaine envie de vivre et plutôt que sauter du pont de Brooklyn, il intègre finalement le Nord-six, le "pavillon des fous" où pendant une semaine, il raconte le quotidien, les patients, le traitement, le personnel soignant, ses peurs et ses espoirs. Jusqu'à sentir le déclic. "Cela se produit après que les ondes sismiques ont secoué mon corps. J'ignore où mon cerveau était parti tout ce temps. Je sais seulement qu'il était à côté de ses pompes, englué dans tout un tas de problèmes qu'il ne parvenait pas à gérer. Mais il est de retour, maintenant, de nouveau connecté à mon corps, prêt à prendre les commandes".
Ce qui séduit dans ce roman, c'est sa tonalité, entre naïveté et gravité, noirceur et légèreté. Elle offre un bel effet de mouvement, une réelle vitalité alors qu'il est souvent sujet de mort ici. Détachée et en même temps très juste, délicate, elle attache et maintient une lecture attentive (malgré quelques redondances ici et là).
A travers de nombreuses précisions qui font sans doute écho aux propres souvenirs de l'auteur, le lecteur parvient sans difficultés à éprouver le malaise et la souffrance du jeune homme, à percevoir la modification progressive de son comportement, à ressentir même avec force et une certaine proximité, l'ambiance particulière de l'hôpital psychiatrique (la bulle protectrice, l'absence de jugement et les relations spontanées, le temps qui ralentit, etc.) ; convaincu alors qu'une rémission est possible. "Le suicide n'est plus la seule option."
Pourtant, le 19 décembre 2013, Ned Vizzini, s'est jeté du haut d'un immeuble de Brooklyn. Il avait 32 ans.
A noter, en 2010, le film de Ryan Fleck, "Une drôle d'histoire", inspiré du roman.