Agnès Forette est enseignante en arts appliqués et graphiste. Après une redirection de son poste vers un Établissement Régional d'enseignement adapté (EREA), elle a expérimenté la pédagogie avec des élèves de la 6e au CAP. Un public à adopter, apprivoiser, aux us et coutumes qu'il faut comprendre, décortiquer et décrypter. Co-exister représente une difficulté que l'on imagine mal.
De là est né Grand écart, Petites notes prises le soir après la classe.
À mi-chemin entre le journal intime et le récit de guerre, on y découvre au fil des pages un quotidien fait de luttes et de conflits, mais également de touchants dénouements. Chaque chapitre du recueil présente des situations auxquelles Agnès fit face, parfois destabilisée, parfois apeurée, mais toujours avec une résolution presque heureuse.
De fait, Grand écart pourrait être un ensemble de contes de fées. Sans fées ni château ni prince débarquant sur un blanc destrier. Du conte de fées, ces saynètes ont toute la structure : un prologue, une perturbation, un conflit, une résolution et retour à une situation initiale nouvelle. Et ce schéma est reproduit au fil des pages et des témoignages, de façon assez répétitive finalement. On en viendrait presque à se lasser, sachant d'avance que tout nouveau chapitre se terminera par une dorme de morale, d'enseignement ou de simple conclusion retournant la situation initiale pour en découvrir une profondeur qui va au-delà de l'apparente simplicité du début. On se demande même si l'on ne tombe pas dans une certaine facilité un peu mièvre au fur et à mesure...
Pourtant, on découvre pourtant un quotidien et un regard assez inattendus sur la vie dans une salle de cours, les aspirations parfois humbles des élèves, mais toujours étonnantes. Comme celui qui avec un million d'euros ne souhaite finalement que s'exploser l'estomac dans un KFC. Et dont on n'apprendra que dans une autre séquence qu'il ne semble pas manger à sa faim chez lui. On y rencontre également une naïveté cinglante (« On peut tomber enceinte avant sa majorité ? ») ou une incompréhension devant une société dont les élèves ne se sentent pas particulièrement proches.
Agnès, en dépit des situations, fait preuve d'un sang-froid et d'une intelligence dans ses réactions qui mériterait de figurer comme une référence pour ses confrères. Quand un élève lance un « Sur la tête de ma mère je m'en bats les couilles sur le Coran de la Macque », elle se contente de décortiquer l'expression en lui rendant la force des images qu'elle transporte. L'élève est déstabilisé, se confond en excuses et cède finalement devant la rudesse de son expression.
Qu'en penser ? Que le livre est plaisant, et en somme instaure une certaine vision qui paraît honnête et objective. Sincère même. Le métier peut être très difficile et remettre violemment en question les personnes devant la spontanéité des réactions et des paroles. Sans se placer en exemple, Agnès témoigne que l'on peut découvrir un aspect captivant dans le travail de professeur. De là à dire qu'elle rend un peu d'espoir...
Rapide à lire, c'est certain. On se surprend même à revenir sur des passages, pour savourer la note d'humour, le cocasse de la situation ou pour savourer simplement une prose légère et facile. Il ne s'agit pas d'un guide pour résoudre les situations conflictuelles auxquelles on se confronte dans une salle de classe. Juste d'un témoignage.
En tant que tel, il est splendide. Et pour le reste, il est savoureux.