Cet automne, l'un des albums les plus mis en lumière dans les librairies américaines est . Écrit par Daniel Handler alias Lemony Snicket, l'ouvrage illustré par Jon Klassen est paru en avril dernier (Little, Brown Books).
Lemony Snicket est à l'honneur : le 15 octobre sortira son nouveau roman, When Did You See Her Last ?, deuxième tome de la quadrilogie All the Wrong Questions (Little, Brown Books). L'ouvrage qui compose la préquelle des Désastreuses aventures des Orphelins Baudelaire (Nathan) est très attendu aux États-Unis.
Après l'adaptation cinéma et le succès phénoménal de la série d'origine vendue à plus de 60 millions d'exemplaires, le premier tome de cette préquelle arrivera dans nos librairies le 9 janvier 2014 (Information exclusive LHSF !).
De nombreux titres américains à l'humour noir, comme celui qui caractérise le ton résolument caustique et sombre de Lemony Snicket, connaissent une diffusion limitée en France malgré un succès certain dans leur pays d'origine.
Si le « dark humor » imprègne la littérature américaine depuis le XIXe siècle et Mark Twain, il s'est surtout affirmé au XXe siècle, jusqu'à faire éclore des concepts originaux chez des créateurs contemporains aux univers à la fois sombres et drôles.
Et quand les créateurs s'amusent des codes de la littérature jeunesse pour les détourner, éprouver leurs limites ou s'en inspirer, ils en viennent à créer des œuvres uniques sans viser un public à l'âge prédéterminé (et c'est tant mieux !).
Peu connu en France, Theodor Seuss Geisel dit Dr. Seuss était une véritable vedette aux États-Unis. Les librairies américaines lui accordent encore aujourd'hui une très grande place, alors que nous connaissons surtout l'adaptation cinématographique de certains ouvrages dont Le Grinch ou Le Lorax, ainsi qu'une petite dizaine de titres traduits en français surtout liés à la sortie des films.
Né en 1904 dans le Massachusetts, Dr. Seussa publié près d'une soixantaine de livres pour enfants. Son œuvre se démarque par un univers graphique très caricatural, un style d'écriture à la rime et au rythme très travaillés mêlés à une bonne dose d'insolence, comme en témoigne Le chat chapeauté (Pocket Jeunesse). Nous parlions de l'application ici-même, il y a quelques mois.
Située en Californie, la maison d'édition Ulysses Press propose quelques titres de Dr. Seuss en langue française aux petits Américains qui voudraient apprendre le français. Elle publiera à la fin octobre Comment le Grinch a volé Noël (publié par Pocket Jeunesse en France en 2000).
Si les ouvrages sont truffés de clins d'œil au sujet de certaines problématiques socioculturelles américaines, ils mettent en scène les angoisses universelles liées à l'enfance : la mortet l'abandon (Horton entend un Zou !, Ulysses Press), la différence (Poisson un Poisson deux Poisson rouge Poisson bleu, U.P.), l'inconnu (Oh, the Places You'll Go!, Random House). La subversion se construit sur des jeux de mots et un comique de répétition sans faille (Les œufs verts au jambon, U.P.).
Dans un registre plus sombre, Charles « Chas » Addams, l'auteur des cartoons publiés dans The New Yorker est moins connu en France que SA Famille Addams, mise en vedette dans la série télévisée des années 60, les films éponymes réalisés par Barry Sonenfeld et un livre publié chez Pocket au début des années 90. Aux États-Unis, Charles Addams a laissé sa marque en littérature jeunesse en proposant une vision unique des comptines traditionnelles ou « nursery rhymes » : d'abord paru en 1967, Mother goose a été réédité au début des années 2002 (Simon and Schuster). L'album, jamais publié en France, façonne un univers devenu risible, car le macabre se noie dans le quotidien le plus banal.
D'autres concepts repoussent les limites de la dérision ou, du moins, les questionnent, comme l'album All my friends are dead d'Avery Monsen et Jory John, publié en 2010 par Chronicle Books. Présenté sur sa page Facebook comme « le livre le plus triste ou le plus drôle jamais lu », All my friends are dead s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires. L'animation conçue à partir de quelques pages du livre a été l'une des plus partagées dans l'histoire de Tumblr. Les traductions se sont multipliées en Espagne (en castillan et en catalan), en Allemagne, au Royaume-Uni... Une suite est même sortie en 2012 : All my friends are still dead.
Autre création inclassable : La Triste Fin du petit enfant huître et autres histoires de Tim Burton (William Morrow & Company / Faber and Faber / éditions 10/18). L'animation suivante donne un bel aperçu du recueil.
Avec sérieux et dérision, le créateur joue avec les codes traditionnels des ouvrages pour enfants, décloisonnant les genres, les destinataires et poussant plus loin la réflexion sur la portée d'une œuvre et la filiation entre artistes.
Ainsi, Tim Burton reconnaît l'importance de l'influence qu'ont eue les albums de Dr. Seuss sur son imaginaire. Pour La Triste Fin…, il s'est inspiré des Enfants fichus d'Edward Gorey, un proche de Charles Addams. Publié en 1963 par Harcourt Brace International, il a fallu attendre 2011 pour que les maisons Attila et Alto osent une traduction de l'abécédaire. « Construit comme une comptine de vers rimés deux à deux, ce recueil n'avait étrangement jamais été traduit en français », présente Attila sur son site.
Voici quelques pages de l'édition américaine.
{CARROUSEL}
Sans tabou, le contraste entre le caractère tragique de la mort des enfants dont les prénoms composent l'abécédaire et l'apparente légèreté de la forme narrative interpelle et interroge.
Edward Gorey l'avait compris : l'humour noir est la meilleure défense contre l'absurdité d'un monde.
Les chiffres de vente sont tirés du site internet de l'agent de Daniel Handler : http://barclayagency.com/handler.html
Le montage a été conçu par Roman Chimienti et produit par The End Audio Productions.
La maison d'édition Attila est située en France http://www.editions-attila.net/les_enfants_fichus/index.html ; la maison d'édition Alto est située au Québec : http://www.editionsalto.com/fiche.php?no_livre=642.