C’est un livre comme on les aime. Une situation de départ qui pose d’emblée une atmosphère mystérieuse qui va nous poursuivre jusqu’à son terme. Une histoire intelligente et qui pourrait tout à fait être véridique. Le narrateur, Brodeck, rapporte les activités et la vie de son petit village perdu au fin fond des montagnes après la Seconde Guerre mondiale. Tout y semble dissimulé au point que l’on se sent un peu perdu et oppressé… quand l’histoire au juste s’est-elle passée exactement? Quel est ce pays étrange où vivent ces âmes torturées ? Qu’est-il vraiment arrivé?
Tout commence par les premiers mots de Brodeck: simples. L’arrivée d’un étranger dans le village ainsi que la réminiscence de secrets ardemment enfouis vont perturber la tranquillité dans laquelle chacun s’était confortablement installé. Il est évident que ces villageois ont quelque chose à se reprocher. La suite, logique: des évènements malheureux et cruels s’enchaînent avec pour principal témoin Brodeck qui ne comprend pas et s’étonne des faits et gestes de ses voisins. Jusqu’où peuvent-ils aller ? Qu’impliquent ces secrets jalousement gardés? Brodeck est chargé, bien malgré lui, de raconter, au nom du village entier, ce qui s’est réellement passé. Bientôt son rapport va prendre une toute autre tournure qui va révéler la vraie face de certains habitants et plus largement des vérités sur la condition humaine.
Philippe Claudel a une façon bien à lui de nous transporter dans son univers. Rapporter et critiquer sa fiction est d’ailleurs particulièrement délicat… toutes les questions qui nous assaillent s’expliquent vraiment à la toute dernière fin, à tel point qu’il est même difficile d’évoquer certains passages évocateurs, de peur d’en dire trop. Seulement, la construction de la chronologie est un modèle du genre. On en retient, dans les propos de Brodeck, des passages entiers sur sa vie précédente les terribles évènements et ses expériences qui semblent d’un prime abord n’avoir rien à voir avec ces querelles villageoises. Et, si tout s’expliquait et avait justement un rapport avec Brodeck? Chacun est juge.
Cette atmosphère d’après-guerre n’est pas nouvelle dans la littérature. Tant de romans ou d’histoires vraiment passionnantes existent déjà. Cependant, l’auteur réussit ici à apporter des écrits novateurs. Il étudie les choix et les actes de tout un village avant, au cours et au lendemain de la guerre, et les implications qu’elles auront sur tout à chacun. Les sentiments humains sont finement décortiqués et révèlent la faiblesse de ceux qui étaient forts hier. Des actions complètement illogiques sont ici rapportées et révèlent la bêtise humaine. Par exemple, on essaie de faire partir une personne en l’amenant à souffrir la noyade de son cheval aimé, pourtant seul réel moyen de quitter ces lieux rapidement. Pas une seule fois, les habitants ne se rendront compte de ce paradoxe, parmi tant d’autres, tellement leur haine et leur sentiment de culpabilité les tenaillent.
Ce qui transparaît par ailleurs dans ce roman, c’est l’espoir. L’idée que tout n’est pas forcément noir, que la fatalité n’est pas forcément de mise… Au fur et à mesure des pages, on rentre peu à peu dans un monde de fantômes, d’injustices criantes, d’évènements inhumains, de crimes plus horribles les uns que les autres. Pourtant, Brodeck ne se réfugie pas une seule fois dans la haine et le ressentiment. L’auteur livre ici un hymne à la tolérance, à la compréhension et au pardon. On se sent pourtant révolté dans la lecture et on ne peut qu’admirer le stoïcisme et la force d’esprit du narrateur. Vraiment un livre à découvrir absolument, superbement écrit et qui donne à réfléchir.