Depuis quelques années, le vin fait couler beaucoup d'encre de Chine. La bd sur fond viticole est sans conteste une des nouvelles niches éditoriales dans lesquelles chaque maison rêve d'installer un de ses chiots. Depuis le carton des Ignorants d'Étienne Davodeau chez Futuropolis, les projets se sont multipliés sans qu'aucun autre, a ce jour, ne soit parvenu à réitérer l'exploit d'allier, de manière naturelle, érudition, plaisirs du palais et bonheur de lecture.
Autant dire que je n'espérais pas grand-chose de la lecture de « Un grand Bourgogne oublié », dont le scénario est cosigné par un viticulteur, , et un scénariste tout terrain, , pilier des éditions Bamboo. Et pourtant, cette lecture est une bonne surprise. Pour plusieurs raisons.
À la recherche du vin perdu
D'abord, parce que le propos même de l'album est intrigant. Un peu par hasard, un viticulteur passionné, sur le point de se lancer dans l'exploitation d'une nouvelle parcelle, tombe sur trois bouteilles d'un vin à l'étiquette illisible, qui dépasse en qualité tout ce que l'amateur a déjà pu se mettre derrière la cravate. Un Bourgogne parfait. Manu, le héros, n'a plus qu'une envie, désormais : produire un vin similaire. Mais pour comprendre comment le vigneron a obtenu pareil résultat, il lui faut découvrir sur quelles terres et avec quels cépages le rouge a été assemblé. La chasse au vin inconnu est ouverte.
La seconde raison qui fait de cet album une réussite est l'avancée progressive de l'enquête. Chaque nouveau personnage rencontré permet d'aborder une facette différente de la vie de la vigne et du vin. Du caviste au commissaire priseur en passant par les jeunes vignerons ou les plus anciens, qui conservent la mémoire non seulement des crûs, mais aussi des hommes qui les ont faits et des petites histoires qui les entourent. À mesure que le vigneron fait appel à de nouveaux spécialistes, le lecteur apprend et le vin lui semble un univers de plus en plus dense. Même si la solution de l'énigme ne semble guère s'approcher et n'est révélée qu'à la toute fin du récit.
Enfin, ce qui ne gâche rien, l'histoire raconté dans cet album ressemble de très près à celle vécue par le viticulteur qui cosigne le scénario. Quelques pages d'explications à la fin du livre, une fois la dernière planche tournée, permettent d'ailleurs de discerner le réel de la fiction. L'histoire en cases et en bulles parvient à ajouter deux éléments essentiels au récit : un suspense très maîtrisé et un humour qui aère régulièrement les planches.
Noir, blanc et... bordeaux
Je m'en voudrais de ne pas signaler le travail assez complexe du dessinateur embarqué dans l'aventure : il a été obligé d'utiliser pour ses planches une galerie de personnages bien réels et encore vivants. Pas simple de jongler avec les contraintes du portrait et celle de la narration. Il s'en sort plutôt bien, même si dans certaines scènes les scénaristes cèdent à l'envie de faire plaisir à tous les spécialistes du Bourgogne et laissent les VIP envahir leur récit de manière un peu raide et déséquilibrée. Heureusement, ce travers – très épisodique – est largement composé par les cases de dégustation, d'un lyrisme délirant, où le dessinateur peut laisser libre cours à son art, ajoutant même le bordeaux du vin au noir et blanc des autres planches.
En définitive, cet album dont le sujet laissait prévoir un résultat convenu et peu intéressant se révèle un cru étonnant et savoureux. À déguster à température ambiante.