L'une des principales distinctions entre l'industrie de l'édition en France et aux États-Unis est le rôle de l'agent littéraire. Aux États-Unis, les auteurs envoient leurs manuscrits aux agents qui, par la suite, entrent en contact avec les éditeurs. L'agent est l'intermédiaire auprès des maisons, travaillant les textes des écrivains avant de les leur présenter. « Les agents font intégralement partie du système éditorial américain, au point que la grande majorité des livres de fiction publiés aux États-Unis sont d'abord passés entre les mains d'un agent. »[i]
Le marché de la littérature Jeune adulte constituant un secteur à part entière, la plupart des manuscrits reçus par les agences littéraires correspond aujourd'hui à ce segment éditorial, multipliant le nombre d'agents spécialisés. Maillon incontournable de la chaîne du livre, l'agent devient même « agent double » : il est à l'affût des nouvelles tendances tout autant qu'il les lance.
Lorsque l'on cherche à identifier les prochaines tendances en littérature Young Adult, on se tourne naturellement vers les agents, comme le montre l'article "New Trends in YA : The Agents' Perspective" paru il y a quelques mois[ii].
Le premier constat formulé par les agents est un écœurement certain pour des genres pourtant si recherchés ces dernières années, comme la romance fantastique. Les succès dans le domaine ont conduit auteurs, agents et éditeurs à vouloir appliquer à toutes les sauces le schéma alliant histoire d'amour et créatures fantastiques (loups-garou, vampires, sirènes, anges ou métamorphes), épuisant la recette.
Après la saturation du marché par les romans post-Hunger Games, les agents prédisent aussi une survie difficile à la dystopie.
Autre cause de haut-le-cœur : la trilogie. Alors que ce format fleurissait depuis quelques années, les titres uniques se vendraient mieux aujourd'hui, plus faciles à placer, moins risqués pour des éditeurs prudents et financièrement moins contraignants à acheter pour le lecteur.
Les prochaines tendances
Face à cette saturation, les agents attendent, prédisent ou passent commande. Des titres uniques ("one-shot"). En somme, on assiste au retour du roman réaliste (ou miroir) à thématique plus contemporaine que certains qualifient de GreenLit [iii] après le succès de Nos étoiles contraires(John Green, publié chez Dutton / Nathan) que l'on présentait ici.
Relèveraient de la GreenLit les récits caractérisés par un narrateur vif d'esprit et drôle, des dialogues incisifs, des figures d'autorité défaillantes et des histoires d'amour tourmentées.
Parfait exemple de GreenLit : Eleanor & Park (Rainbow Rowell, publié chez St. Martin's Griffin raconte l'histoire de deux jeunes à part, à la fin des années 80. Trop intelligents pour savoir que le premier amour ne dure jamais, ils sont assez courageux et désespérés pour s'y essayer. (Prévu aux éditions PKJ, le 5 juin 2014)
Après une belle vague d'héroïnes, certains voudraient plus de personnages principaux (antihéros) masculins, comme dans Wingerd'Andrew Smith (Simon & Schuster). Ryan Dean West, 14 ans, est pensionnaire dans une école privée. Il a pour colocataire la pire brute de l'équipe de rugby ; il est amoureux de sa meilleure amie qui le considère toujours comme un gamin ; c'est un intello fan de comics (le roman est illustré avec les supposés crayonnés métacomiques de Ryan).
(Pas encore prévu en France)
La fiction contemporaine au ton humoristique semble donc bien partie pour remplir les rayons des librairies.
Dans les années à venir, les agents s'attendent aussi à accorder une bonne place au thriller psychologique : des auteurs spécialistes du genre comme Gillian Flynn (publiée chez Sonatine en France) vont passer au Young Adult. Et, en 2015, l'on entendra parler d'auteurs comme Marcy Beller Paul, Kim Savage et Lynn Weingarten dont les récits à suspense mettront particulièrement en avant le thème de l'amitié entre filles.
Dans une veine plus noire, les agents aimeraient recevoir des romans gothiques et d'horreur.
Certains souhaiteraient qu'on leur propose des œuvres plus interactives, déclinées sur plusieurs médias.
D'autres voudraient la réécriture ("retelling") de certains classiques ou contes de fées, tendance vers le merveilleux dont nous vous avions parlée il y a quelques mois, dans l'esprit de la série Splintered. Les deux tomes (sic) écrits par A. G. Howard racontent l'histoire d'Alyssa, 16 ans, la descendante d'Alice, la petite fille qui a inspiré Lewis Carroll. Sa mère vit dans un hôpital psychiatrique. D'ailleurs, Alyssa entend des voix…
À en juger par l'axe éditorial pris par certaines maisons, on trouvera aussi de la fiction historique sur les rayons[iv], comme Grace and the Guiltless, roman dont l'action se déroule au Far West (Erin Johnson est publiée par la nouvelle division YA de l'éditeur Capstone For Young Readers, Switch Press). Le livre raconte la vengeance de Grace, seule survivante du massacre de sa famille par des hors-la-loi.
S'il y a une tendance à dégager chez les agents à l'affût du prochain best-seller en littérature Jeune adulte, c'est la recherche du "high-concept" : le livre qui repose sur un ton, une voix forte, originale, qui accroche, quel que soit le sujet, et susceptible de capter un public adulte. Comme les romans en vers de l'auteure Ellen Hopkins, dont certains titres se sont hissés aux palmarès des meilleures ventes du New York Times.
Devant la variété des courants cités, et si la prochaine tendance était le "wait-and-see" ? Michael Bourret, agent chez Dystel and Goderich Literary Management, résume la situation du moment sous l'angle de l'attente : « Les gens [du milieu éditorial ndlr] sont frustrés parce qu'il n'y a pas de tendance, actuellement. Ils doivent se fier à leur propre goût, leur instinct, et non à ce qui marche. Mais personne ne sait ce qui marchera, la prochaine fois. On ne le sait qu'au moment où ça marche. »