Il minuscule

Dans un vieux dictionnaire, rangé sagement sur une étagère, habitent monsieur I majuscule, et son fils, le petit i. Tous les jours, ce dernier va à l'école des voyelles, avec les triplées é, ê et è, sa copine la virgule et le reste de la clique. i minuscule aime bien tout le monde mais son papa lui a conseillé de se méfier du y. C'est un étranger, celui-là. Il est tout, tout sauf comme nous.

Mais un jour, i minuscule tombe dans la cour de récréation et perd son point. Son précieux petit point joli qui fait de lui un parfait i. Bien sûr, tous veulent l'aider, mais sans succès. Peut-être bien que ce drôle de i grec aura, lui, la solution...

Voilà un album comme on en raffole par ici! i minuscule est un petit chef d'oeuvre à part entière. Le style de est rafraichissant, concis et poétique. Il y a, dans ses lignes, beaucoup d'humour et de créativité.

Elle maîtrise parfaitement son art: pas un mot de trop et rien qui manque non plus ! Cette comptine intelligente est merveilleusement bien servie par la talentueuse Rebeka Elizegi. Cette illustratrice nous ravie littéralement par sa créativité, sa subtilité élégante et son univers totalement décalé. Voilà donc un petit bouquin exquis et tout à fait graphique, à placer dans les mains minuscules des amoureux des belles lettres.

À retrouver en librairie Le Petit Pape de Boucq, de retour chez Fluide Glacial après plus de dix ans d'absence (il fallait bien dessiner l'incroyable Bouncer).

Des gags en quelques planches prenant pour héros un pape minuscule, bête à manger du foin d'hostie, mais plein de bonne volonté. C'est idiot, souvent absurde, politiquement impardonnable, et très peu catholique.

Mais quel dessin ! Boucq, comme Daniel Goossens, soigne au moins autant ses décors et les tronches de ses personnages que ses gags. L'album vaut le détour, rien que pour le plaisir évident que Boucq prend à dessiner le souverain pontife et sa clique, dans les décors disproportionnés du Vatican.

Et si, en ouvrant un livre, on voyait les plus beaux héros de nos contes jaillir vers nous… On tourne une page et les pétales délicates se défroissent joliment pour découvrir une petite Poucette toute blonde. De la suivante émerge le long nez de ce menteur de Pinocchio. Ils sont tous là, prêts à bondir et retenus comme par magie dans ce très beau livre pop up. Les cartes d'Alice nous sautent aux yeux, le petit Chaperon est juste là, dans la gueule du loup et Barbe-Bleue n'a jamais été plus inquiétant. Si l'on s'approche trop, on risque même de se piquer au rouet et de faire une petite sieste de cent ans, avec la Belle au bois dormant…

Que dire de plus qui n'ait déjà été dit sur ce très très beau livre-objet, bientôt livre-trésor, que nous propose ? C'est réellement un enchantement. Pour m'assurer de l'unanimité de son succès, je l'ai soumis aux yeux experts et intransigeants des plus petits, au cynisme un peu blasé des grands et aux regards de ceux qui prétendent avoir déjà tout vu: les vieux. Ainsi, toutes les générations s'accordent à le dire: Il était une fois est un livre magique. On l'ouvre et le merveilleux s'extirpe du papier pour venir enchanter la réalité et nous charmer, dans tous les sens du terme. Quelques minutes de pure contemplation où le lecteur n'a plus d'âge. Et ça, c'est un joli tour de passe-passe pour lequel nous remercions le jeune Houdini de la littérature jeunesse!

En ce 3 mars 2023, 40 ans jour pour jour après la disparition d'Hergé, Renaud Nattiez se pose LA question : Peut-on encore, en toute bonne conscience, inciter ses enfants à lire les aventures de Tintin ?

En somme : Faut-il brûler Tintin ? 

Depuis sa naissance dans une autre époque, en 1929, Tintin est aujourd'hui qualifié de réactionnaire, raciste, colonialiste, misogyne, anticommuniste primaire et sûrement d'autres abominations. 

L'auteur, administrateur de l'association « Les Amis de Hergé », revient sur la tintinophobie de ce XXIe siècle et se demande si une bonne part de l'intérêt de ce mythe du 9e art ne provient pas, justement, de son caractère non consensuel.

1934. Un jeune homme, allongé sur le sol devant Notre Dame de Paris. Il s'appelle Vango, a 19 ans et s'apprête à devenir prêtre. Tout à coup, des policiers envahissent le parvis. Ils sont à sa recherche. Un homme mystérieux lui tire dessus. Un zeppelin vole au dessus de la scène. Tout ceci sous l'œil attentif d'une jeune fille aussi belle que mystérieuse. Une seule solution s'offre alors au jeune Vango: la fuite. Une extraordinaire cavale commence alors où les mystères se multiplieront et où le héros devra partir à la recherche de son passé s'il veut pouvoir gagner la clef de son avenir.

, après son formidable Tobie Lolness, nous prouve à nouveau qu'il est un grand faiseur d'histoires en changeant complètement de registre.

Haletant, émouvant et mystérieux, Vango est un roman qui se lit avec une vraie délectation. Le lecteur est emmené de la France à l'Allemagne en passant par une minuscule île de Sicile au fil des péripéties qui jalonnent le destin du héros. Naviguant en permanence entre passé et présent, l'auteur, au-delà de son personnage et de ses aventures, tourne plusieurs pages de notre Histoire. Aussi attachant qu'intriguant, Vango, jeune homme dont la vie semble parcourue de secrets et de dangers s'impose tout autant que les personnages secondaires, tous particulièrement réussis, comme une véritable futur succés littéraire.

Un seul point négatif: il faudra attendre le tome 2 pour découvrir le fin mot de l'Histoire! Gageons, en tout cas que Vangoconnaîtra le même destin en librairie que son aîné, Tobie.

Inspirée d'un fait historique dramatique, de l'enquête de du groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) et d'une expérience personnelle sur l'île de Tromelin, la bande-dessinée de , plus documentaire que romanesque, offre au lecteur un récit intime, passionnant et assez bouleversant d'une tragédie méconnue survenue dans la 2ème moitié du XVIIIème siècle, à l'époque des Lumières, quand le commerce d'esclaves n'avait pas encore disparu. 

En août 1761, sous le commandement de Jean Lafargue, l'Utile, chargé sans autorisation de 160 esclaves emprunte une route maritime inhabituelle et heurte le récif qui entoure l'île de Sable (aujourd'hui Tromelin). Les rescapés trouvent refuge sur cette île hostile,  plate et minuscule d'à peine 1 km². Deux mois plus tard, seuls les Blancs peuvent embarquer sur le bateau de fortune réalisé pourtant avec l'aide des esclaves malgaches mais ils promettent de revenir au plus vite avec des secours… Quinze ans plus tard, le 28 novembre 1776, Jacques Marie Boudin de Lanuguy de Tromelin, commandant de la corvette La Dauphine, récupère les survivants, sept femmes et un bébé de huit mois, et les ramène sur l'île de France (île Maurice actuelle).

Invité par Max à participer en 2013 à une nouvelle mission archéologique sur l'île, l'auteur construit alors un double récit, l'expédition elle-même et l'aventure imaginaire (mais plausible) de Tsimiavo, jeune esclave malgache, naufragée de l'Utile, survivante parmi les sept femmes rescapées.

Tel un roulis de bateau, par une alternance agréable des deux histoires,  l'une plus elliptique que l'autre, forcément, Sylvain Savoia emmène le lecteur avec habileté et intérêt sur ce bout de terre minuscule balayé par les vagues, au milieu de l'océan indien.  Une description sensible de son séjour sur l'île, empreinte d'émotions fortes et perceptibles, où le lecteur s'imprègne de l'ambiance lointaine, de ce lieu fermé où treize hommes vont vivre quelques semaines au milieu des Bernard-L'hermite et des tortues, fouiller le sol, extraire des vestiges de cette réalité effroyable, et la faire resurgir avec beaucoup de dignité.

Parallèlement, et sans difficulté de transition, il se passionne avec autant d'intérêt pour l'histoire de Tsimiavo et des autres esclaves abandonnés sur l'île, résistants malgré le désespoir, animés par un instinct de survie fascinant, une faculté d'adaptation inouïe, bravant les cyclones, la mort des uns, la folie des autres, l'abandon, la peur, le temps qui passe, inexorablement.

Animé par une curiosité grandissante, éprouvé par le sort de ces êtres abandonnés, le lecteur, à mesure que l'histoire se déploie, est assailli de questions, en quête de précisions qui ne viendront pas, hélas, faute de  réels témoignages recueillis et conservés à cette époque. Mis à distance, par la rareté des documents évoquant les rescapés malgaches,  il regrette presque alors que la tonalité romanesque n'ait pas comblé ce vide et soit restée si discrète.

Mais quelques extraits de témoignages, recensés en fin de volume (comme le récit du naufrage de l'Utile par l'écrivain du bord ou le rapport de Tromelin), l'évocation par Max Guérout des quatre campagnes de fouilles, certaines photographies et archives complètent avec beaucoup d'attrait et de manière utile la bande dessinée. C'est certain, elle restera en mémoire de ceux qui la lisent. Comme un hommage à ces Robinsons d'infortune.

Par ailleurs, jusqu'au 30 avril, au château des ducs de Bretagne à Nantes, les plus passionnés pourront visiter l'exposition "Tromelin, l'île des esclaves oubliés". Exposition itinérante qui s'arrêtera ensuite à Lorient, Bordeaux, Bayonne et Marseille. Plus d'infos ici.

Francesco Pittau et Bernadette Gervais nous reviennent en force (on leur doit déjà de nombreux livres dont et Quand je serai grand, toujours avec ce même petit personnage énigmatique) avec ce dernier album : Il faut garder le sourire.
Ce livre peut être perçu comme ironique ou résolument optimiste, selon l'humeur du moment. Ironique parce que du matin au soir, ce petit garçon subit des petites et grandes choses toutes plus désagréables les unes que les autres – cela va de ne pas réussir à faire ses lacets à se tailler le doigt dans le taille crayon, se faire vomir dessus, se prendre un coup de poing en plein visage ou encore ne jamais gagner ou avoir le cœur brisé – et garde malgré tout ce sourire crispé auquel personne ne croit. Et cet album peut être considéré comme un hymne à l'optimisme, avec pour récompense finale est un droit de pleurer à chaudes larmes !Beaucoup de sensibilité et d'émotions traversent cet album aux traits simplistes mais efficaces et permettent au lecteur, même les plus petits qui ne lisent pas encore, de comprendre facilement la situation. On rit, on sourit, on se pose des questions et la dernière page se déplie nos yeux, on est heureux de voir ce petit personnage pleurer et redevenir lui-même.
Un album a lire et à comprendre différents niveaux d'humour, d'humeur et d'âge !

Ce bel album respire la quiétude. On y pénètre à pas feutrés, presque en secret. Naturellement, il déclenche une lecture chuchotée, apaisante, respectueuse du silence de la nuit et du sommeil des enfants.

Réalisé majoritairement au fusain, le livre s'enveloppe d'une ambiance nocturne mais jamais sombre ni inquiétante. Empreint d'une chaleur douce et d'une lumière étonnante, il crée une proximité bienveillante avec le tout jeune lecteur, une ambiance poétique et tendre, quasi-merveilleuse, déjà perceptible dans le premier album publié en français d,  Un goûter en forêt.

Un délicat jeu d'ombres et de lumières, subtilement nuancé,  traverse chaque illustration, rend le court texte presque accessoire. De chaque page pourrait naître un récit imaginaire et personnel, une histoire différente.

D'une tonalité universelle et en même temps très singulière, le livre invite au rêve. Prélude à un endormissement enchanteur, il est à la fois rassurant et stimulant.

Accompagné par sa mère, lové dans ses bras protecteurs, joyeusement fatigué par une journée trépidante,  un petit lapin traverse la ville à la nuit tombée. Entre éveil et sommeil, il aperçoit l'activité urbaine qui décline, les rues qui se vident peu à peu et le silence qui s'installe tout  autour d'eux.

Puis, déposé dans son lit avec attention,  il imagine alors ce que font les êtres qui ne dorment pas encore et que la nuit entoure de mystère et d'intérêt. Des voisins proches de l'immeuble à une inconnue dont il perçoit furtivement les bruits de pas dans la rue, il se laisse envahir par son imaginaire et s'évade doucement, bientôt engourdi par le sommeil.

Chut ! Entendez le silence maintenant. Un pur bienfait.

Accessible dès 4 ans.

Ce livre a reçu une mention spéciale à la Foire internationale du Livre jeunesse de Bologne 2016.