Pour Roland Lamb, encore (et toujours).
Et pour ma sœur Shaveena, qui, quoique arrivée tard, m’a épargné la solitude de l’enfant unique.
Nous ne savons pas vraiment, mais nous sentons confusément que notre vie a un vaisseau frère qui suit une tout autre route. Tandis que le soleil flambe derrière les îles.
TOMAS TRANSTRÖMER, “La maison bleue”.
Je t’ai vu aujourd’hui, Elijah. Tu traversais la rue. Il y a un immeuble au coin de Mass Avenue et de Harvard Street qui ressemble au Flatiron Building de New York en modèle réduit. Tu tournais le dos au bâtiment et, quand le petit bonhomme blanc s’est mis à clignoter, tu as quitté le trottoir pour t’engager sur la chaussée – c’est à ce moment-là que je t’ai vu. Tu as fait un petit geste de la main qui m’a laissé penser que toi aussi tu m’avais vue, que tu me saluais, mais c’était un geste sans signification – tu giflais l’air froid de novembre, c’est tout, et avant que tu ne m’aperçoives, j’avais filé.
Je savais qu’on se croiserait un jour ou l’autre. Cambridge est une petite ville, les circuits y sont limités. Je suis revenue il y a trois mois et depuis, je m’attends chaque jour à ce que tu apparaisses dans mon champ de vision, l’espérant et le redoutant à la fois, et le froid ayant succédé aux beaux jours, à ce que ce soit toi dans ce manteau anthracite, tes jambes dans ce pantalon large. Ta voix qui commande un café avant moi.
C’est à Diana que je dois d’être revenue. Elle est ici – ou plutôt, un petit morceau d’elle est ici – dans ma main. Son os de cheville est plus clair et plus léger que je ne l’aurais cru – il a perdu du poids avec le temps – mais sa présence dans ce laboratoire, dans cette ville où j’ai commencé à rêver d’elle et de toi, tient du miracle. Quand nous l’avons laissée à Dera Bugti1, je ne pensais pas la revoir un jour. Le mystère de la baleine qui marchait resterait enterré pour toujours, un de ces secrets que nous n’étions pas destinés à exhumer. Mais, un peu plus tôt cette année, j’ai reçu un message écrit en urdu et traduit, un peu à contrecœur, par ma mère :
Chère Mademoiselle Zubaïda Haque,
Voici un cadeau de notre ami disparu. Qu’un homme donne sa vie pour une telle chose m’échappe, mais vous, vous le comprendrez peut-être. Il m’a envoyé une lettre me demandant de récupérer son trésor et de vous l’envoyer.
Je n’ai d’autre choix que de respecter la volonté d’un frère, d’un camarade. Nous avons sillonné le désert à la recherche de votre Diana, et maintenant je vous l’envoie, morceau par morceau. Je ne sais pas ce que ces ossements signifient, mais si vous lisez ces mots, vous saurez que notre ami avait un dernier souhait et que je me suis efforcé de l’exaucer.
Je n’ai pas voulu y croire – après des années de silence, était-ce que Zamzam nous aidait à terminer ce que nous avions commencé ? Mais il n’y avait pas d’autre explication, pas d’autre raison possible à ce message, sans oublier que son expéditeur l’avait appelée par son nom, Diana. J’ai répondu, donnant les coordonnées du département, proposant de prendre en charge les frais de transport, ainsi que les formalités à accomplir pour faire passer la frontière à des fossiles. Puis j’ai pris l’avion, je suis revenue ici et j’ai attendu.
Extraits
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