Saisissant de réalisme, le premier roman de , se reçoit comme un coup profond et violent, très dur, cogne fortement, met presque à terre. Imprégné d'une chaleur lourde, d'une humidité éreintante et insoutenable, il porte en lui également l'odeur poisseuse de quartiers déshérités, rend palpable un état de tension et de colère, un sentiment d'insécurité permanents, amplifiés au fil des pages, offre au lecteur une vision noire et crue d'une ville en plein chaos, Kinshasa, gangrenée par la corruption, la criminalité et le désespoir.
Extrêmement sombre, souvent anxiogène, comme sans distance romanesque, ce récit est éprouvant mais impossible à lâcher, entêtant, à la fois hallucinant et dramatique, âpre et puissant, emmené par une écriture précise et percutante, très visuelle. Expressive et oppressante, poétique et belle, la langue de Clara Arnaud, tout comme les effets de narration éclatée, marquent la lecture, captivent l'attention, puissants et talentueux.
République Démocratique du Congo, époque contemporaine. Kinshasa accueille le Davos de l'Afrique et au lointain, monte et gronde l'orage. Une ville en effervescence aux abords du fleuve Congo, grouillante de petites gens, d'enfants de rue, de commerces chinois, d'infrastructures délabrées, de taudis et d'églises évangéliques d'un côté, de quartiers résidentiels, de populations d'expatriés, de ministres, de généraux, de grands patrons de l'autre. Nettoyer la ville, faire place nette, en vue du Sommet international, assurera la promotion du sergent Moïse s'il se montre efficace. "Pas de jeunes qui traînent dans les rues pendant les trois jours du Sommet, pas de shégués, pas de vendeuses avec leur attirail, rien de toute cette crasse. Compris !" Mais le lynchage d'un enfant des rues par un soldat de l'unité, encouragé par le sergent lui-même, fait éclater la colère et exploser la révolte populaire.
Racontée à travers différentes voix narratives, l'histoire (très dense) se construit à partir de plusieurs points de vue et permet ainsi au lecteur de pénétrer intensément Kinshasa, de l'intérieur et dans tous ses méandres, de saisir au plus près et au plus juste l'atmosphère urbaine chaotique des quartiers, de mieux comprendre la situation socio-économique d'un pays aspiré par la Chine, sous tutelle de la banque mondiale et du FMI, vidé de ses réserves naturelles par les puissances internationales ("un gigantesque marché à conquérir"), gouverné par un président corrompu, malmené par une opposition démagogique aussi pourrie, terrorisé par une armée sanguinaire ("l'armée tue nos enfants comme des bêtes"). Et d'éprouver à la fois la peur et le danger permanents comme s'il y était. Avec effroi, angoisse et malaise.
Avec habileté, par une alternance de "je" et d'un narrateur extérieur, un effet violent de proximité immédiate et une distance plus soutenable, l'histoire se pare d'un rythme vif, fait de secousses, parfois brutal, parfois plus apaisé, souvent très tendu, toujours électrique.
"La vie est un sacré combat dans cette ville absurde."
Quatre personnages essentiels progressent dans l'orage et la révolte, rendent compte du désarroi et des désillusions d'une population, souffrent sans abandonner, entre folie destructrice et espérance ténue. Il y a Li, l'entrepreneur chinois, Peter, ancien humanitaire au Darfour, désormais conseiller spécial de l'ONU, Mado, vieille femme congolaise, nostalgique de son enfance au village, hébergé par un prêtre et Désiré, 14 ans, indissociable des autres enfants des rues, dont l'existence n'a pas de futur est régie par les vols, la faim, les agressions, embuée d'alcool et de drogues bon marché ravageuses. "Au fond de leurs regards, brillait l'éclat grave de ceux qui savent que la mort est tapie au détour de chaque nuit".
A travers eux, Clara Arnaud témoigne, sans concession ni complaisance, d'une ville qu'elle connaît bien, captive et dépayse, éclaire sur une réalité politique avec justesse et intelligence. Toujours proche de ses personnages, au plus près de la réalité et de l'orage, tempétueux et impérieux. Une force descriptive convaincante et superbe. Impressionnante même, lorsque l'on sait que cette jeune femme n'a que 30 ans.