Charlotte est ici le prénom d'une artiste juive allemande née à Berlin en 1917, et ce nouveau roman de , entre hommage et biographie, retrace le parcours douloureux de cette jeune femme, déportée en 1943 et rapidement exterminée.
Une artiste peintre dont l'œuvre inédite et complexe, « Vie ? ou Théâtre ? » réalisée sur de très brèves d'années, mélange plusieurs centaines de toiles avec des textes et de la musique à travers lesquelles elle décrit sa famille, ses amis et les épreuves traversées, tragiques et effroyables. Un destin empreint d'angoisse, de peur et d'horreur amplifié par un atavisme morbide. Charlotte s'enferme dans une vie sombre et désespérée, condamnée avant même de naître.
Ce parcours de vie, si terrible, insupportable résonne chez l'auteur depuis longtemps, l'éprouve et le guide, s'immisce dans sa propre existence avec une telle intensité, qu'il lui devient nécessaire de partir sur les traces de cette femme. A Berlin puis dans le sud de la France où elle se réfugiera peu après la Nuit de Cristal, David Foenkinos remonte le temps, fréquente les lieux qu'elle a habitées, rencontre des descendants d'hommes et de femmes qui l'ont côtoyée, chemine vers elle ; c'est un besoin. " Avant même de connaître Charlotte, j'aimais son quartier. En 2004, j'ai voulu intituler un roman "Savignyplatz". Ce nom résonnait en moi d'une manière étrange. Quelque chose m'attirait, sans que je sache pourquoi."
A travers ce roman, c'est donc à la fois la vie de Charlotte qu'il décrit au lecteur mais aussi sa propre quête dont il rend compte tout au long du roman par de brèves incursions d'auteur. Mais ce qui étonne encore plus cette fois (et séduit peu finalement), c'est la mise en forme du récit. Présenté comme un long poème, le texte est construit de phrases brèves qui tiennent toutes en moins d'une ligne ; conçu ainsi, selon l'auteur pour permettre des pauses respiratoires au lecteur comme à l'écrivain tant l'horreur est au bout de chaque page, dans chaque mot. Du suicide de sa mère à celui de sa grand-mère, de l'arrestation de son père à sa fuite vers la France, de son internement au camp de Gurs, jusqu'à l'arrivée d'Aloïs Brunner puis sa déportation sur dénonciation à Drancy ; un enfer insoutenable, allégé par cette composition fragmentée.
Une forme stylistique qui crée une distance, sans doute nécessaire, atténue l'émotion et l'excès de pathos mais reste assez troublante et décevante. En effet, par cette concision, le récit semble se hâter, aller trop vite dans le déroulement des événements, donne à voir Charlotte en survol, revêt presque l'allure d'une chronologie, d'une succession trop sommaire d'éléments biographiques alors que le lecteur aurait envie de se saisir du personnage en profondeur, d'approcher sa délicatesse et sa sensibilité. De se sentir bouleversé, emporté, comme l'a sans doute été David Foenkinos lui-même, en découvrant ce personnage. "Sa vie est devenue mon obsession. J'ai parcouru les lieux et les couleurs, en rêve et dans la réalité."
Si Charlotte Salomon a changé la vie de l'auteur, a influencé sa propre destinée, est littéralement entrée en collision avec lui-même, alors l'intensité du roman semble trop discrète au regard de ce bouleversement personnel, si lointaine au lecteur, pour être appréciée sans réserves.
A noter : Le musée juif d'Amsterdam détient l'œuvre autobiographique de Charlotte Salomon.