On aura eu beau passer des heures et des heures à l'écouter raconter sa terrible histoire, on ne saura jamais qui est vraiment ce , héros des quatre « Blast » de Manu Larcenet. Physiquement, il prend de la place, bien sûr, avec son corps d'ogre et ses paluches de tueur en série ; mentalement, il accumule les tares : violent, naïf à outrance, accro aux drogues dures, misanthrope en diable, tour à tour affabulateur puis amnésique, il est parvenu à nous amadouer, à cacher ses travers et ses débordements derrière ses faiblesses et ses peurs. Il est humain, ce monstre, tellement humain qu'il en devient terrifiant.
On ne saura jamais qui est vraiment ce Polza Mancini, mais on comprendra au moins d'où ont jailli ces géants venus de l'île de Pâques, d'où surgissent les jets de couleur qui bousculent les cases depuis le premier tome. On pourra retracer son parcours et les errances qui l'ont mené jusqu'à ce commissariat où deux flics écoutent son récit. C'est déjà beaucoup.
Dans ce dernier tome, Manu Larcenet souligne encore la ligne graphique très noire qu'il a choisi d'emprunter pour mettre en images ce polar qui flirte avec les limites du supportable (viol, défonce et hyperviolence). Les rares cases dans les tons rouges sont celles où la violence se déchaîne, les images polychromes enfantines, ici traversées de visages de femmes découpés dans des magazines, sont l'écho des montées du Blast ou des viols commis par Roland.
Il y a un an, on prévoyait que la fin de la quadrilogie serait éprouvante, ce n'était pas faux. Une éclaircie, tout de même, dans ce dernier tome : l'album intègre quelques planches lues par Polza dans des magazines BD, signées par un certain Milton Ferri, faussement vintage, qui exposent les dialogues sur la banquise entre un pingouin et Jasper, un ours bipolaire (blanc, polaire et souffrant de bipolarité). Les gags font marrer les deux monstres que sont Mancini et Roland, mais ils dévoilent surtout un des ressorts profonds de cette dernière œuvre de Larcenet : un balancement permanent entre une noirceur terrible, lourde et oppressante, et des pages d'un optimisme radieux, tantôt paisibles et nées de la contemplation de la nature, tantôt chaotique et multicolore, causées par une montée de Blast, un trip à l'héro, qui explose dans la tête de Mancini.
De ces quatre albums, on retiendra bien sûr le voyage à travers la campagne et les bois, les scènes horribles de meurtres et de viols, mais on gardera sans doute surtout en tête la cohabitation permanente dans ce personnage complexe qu'est Mancini, de l'enthousiasme le plus naïf - proche de l'enfance - et de la noirceur la plus intégrale - l'omniprésence de la mort, du sexe subi et du mal. Au final, le Blast, qui donne son titre aux quatre livres, n'est pas une lueur d'espoir - Larcenet semble n'en laisser aucun à ses lecteurs et à ses personnages - mais l'aveuglement temporaire qu'encaisse Polza Mancini sous l'effet de l'euphorie chimique. Les seuls moments de tranquillité d'esprit, au fond, sont ceux où le géant gambade perdu - noyé - dans la nature. Loin des hommes, loin de la police, loin de lui-même. Les moments où il n'est plus qu'un œil qui regarde, un corps qui respire, un crayon qui dessine.