Approché presque par hasard, le livre de est devenu, dès la lecture des premiers mots, magnétique, impossible à lâcher. Une centaine de pages, une vingtaine de chapitres pour une histoire terrifiante, d'une tristesse infinie mais portée par un personnage, Majda, incandescente et bouleversante, meurtrie par des blessures intimes à l'adolescence qu'une vie restera impuissante à guérir.
"Majda mâche sa rage en silence, courbée, réduite. Sous la chair, le cœur s'affole, s'inquiète de tout."
Une femme condamnée, enfermée dans une douleur irrépressible et une solitude immense face à un lecteur maladroit, ébranlé, perturbé et en même temps si proche ; attaché au regard bienveillant du narrateur, salvateur et juste. Magnifiquement approprié.
Empreint de révolte et de larmes, éprouvé par le silence et le poids d'une culture maghrébine encore misogyne, le lecteur accueille cette femme sensible et fragile avec une profonde tendresse, saisi à la fois par le réalisme de l'histoire et le style épuré, sec et déchirant. Une écriture précise et concise, remarquable à décrire la folie et le désespoir du personnage principal, le malaise et l'inquiétude des parents, impuissants et faibles, tragiquement décalés. Figés. "Ils décidèrent d'un commun accord qu'il ne fallait rien faire, rien dire. Rien qui puisse nuire à leur enfant […] Il fallait oublier […] Le temps récompenserait leurs efforts."
Majda a 45 ans et souffre de schizophrénie. Lorsque les voix qu'elle entend, menaçantes et agressives, la submergent, c'est à l'hôpital psychiatrique qu'on les fait taire. Ici, au pavillon des femmes de l'hôpital Henri Guérin, alors qu'ils ne l'ont pas vue depuis quelques années, Ahmed (Algérois) et Fouzia (Tunisoise), aujourd'hui retraités, viennent chercher leur fille et la ramènent dans leur appartement, quelque part dans le Var.
"Les cachets vont briser le délire".
De l'attention, du réconfort, de la douceur, "une rassurante précision métronomique", quelques gestes d'amour et de puissants neuroleptiques apaisent les délires de Majda, "hébétée, somnolente" et laissent remonter les souvenirs de l'enfance familiale, plutôt légers et heureux jusqu'à l'agression (toujours tue). A 14 ans, son existence s'effrite, ses repères vacillent et la fuite n'offrira pas la distance suffisante pour se reconstruire. Majda est anéantie. Inaccessible. "On peut très bien respirer et être morte".
Avec un regard acéré et poignant, Samira Sedira rend compte de la violence continue exercée sur Majda, laisse percevoir son intense souffrance, l'horrible silence qui l'a détruite, empêchée d'être et devenir. "Majda est folle. Cuite à l'étouffée […] Une sorte d'aberration combinatoire."
Délicate, elle pénètre également un quartier populaire et l'intimité d'une famille maghrébine façonnée par des repères différents de la société occidentale. Elle dépeint la survalorisation des frères de Madja pendant toute leur enfance et adolescence, leur liberté plus grande. Par petites touches, elle dessine la perte d'autorité progressive du père ("jugé inapte à faire respecter la loi,soudain frappé de nullité"), son éloignement ou encore l'absence de complicité entre une mère et sa fille, la pudeur envahissante qui freine l'amour maternel et méprend sur les sentiments.
Si justement explicite, elle ne juge ni ne condamne pourtant. Extrêmement sobre.
Il y a dans ce livre, beaucoup plus que ce qui vient de s'écrire. Des mots plus forts, qu'il n'est nul besoin de porter par une chronique. Retenez seulement le titre et le nom de l'auteur.
Incontournable, ce roman ne doit pas vous échapper. Peu de lectures happent aussi net.