Le poil à gratter constituait durant mon jeune âge la farce déjà la plus éculée qui soit, mais dont nul n’osait remettre la fiabilité en cause. Et plus cela démange, plus le serpent va se mordre la queue, ou plutôt se la gratter, à en arracher le derme, l’épi et et le reste. Je sais, rire du malheur des autres n’est guère charitable, je vous le confesse, mais c’est jouissif, et c’est tout ce qui compte.
Ainsi, si vous aussi, aviez connu les délices de la colocation avec un Toulousain adepte de la masturbation adolescente, vous auriez eu envie d’en alerter le monde entier. D’autant qu’il pratiqua durant 13 longues années au domicile parental, face à des films loués illimitement. Seul hic ? Une gourmette un brin trop bruyante, et qui trahissait honteusement son propriétaire, de toute façon inconscient de ce que le bruit gênait ses géniteurs. Drôle, non ? En tout cas, sujet à une nouvelle corrosive, c’est certain.
Car s’il n’y avait que la vie de Louis Lanher avec son coloc, cela deviendrait lassant. Mais heureusement, on allie la pertinence à l’impertinence pour immerger le lecteur dans dix séquences croustillantes.
Donc un peu comme le poil à gratter de mon enfance, Louis, mon ami, tu grattes. Voire tu me démanges. Et je n’ose pas raconter (je vais me priver, peut-être) comment tu tournes en dérision ce petit univers parisien avec ses manies et ses tiques (ou tics ?). De toute façon, on ne te la fait pas à toi, qui est écrivain et à une émission littéraire sur une obscure, pour l’heure, mais résolument grande chaîne, du satellite, qui durera peut-être plus de deux minutes trente un de ces jours. Assurément, on devient une star plus facilement auprès de son grand-père et du voisinage, avec de telles fonctions et responsabilités.
Surtout si l’on ne lit pas les livres dont on parle. Je sais, je fais pareil, actuellement pour le tien…
Enfin, non. Parce qu’entrer dans ta vie, ce fut un vrai plaisir. Entre les fantasmes délirants que tu déballes au kilomètre, l’humour saupoudré çà et là à travers chacune des nouvelles, on sent bien que ta vie exceptionnelle méritât au moins une autobiographie délirante de ce genre.
Bien sûr, il faut accepter de se soumettre au délire égotrip, et ça, effectivement, risque de ne pas plaire à tout le monde. Peut-être qu’à trop nous injecter des extraits de cette existence palpitante qu’est la tienne, voire nous coller sous perfusion, on pourrait se lasser. Mais voilà, tu manipules suffisamment bien l’auto-dérision, cher Homo Erectus Artistique, qu’on ne peut réprimer un sourire de connivence à chaque page.
Ce doit être la variété des récits, les contrepieds, les décalages, le ton différent pour toutes les nouvelles. Bref, y’a quelque chose de franchement pas pourri dans ton domaine qui met du baume au cœur.
D’ailleurs, comme disait Hugo, Victor, hein, pas Hugo Ferjus, mon concierge, chaque texte est un écho du siècle. Et j’ignore réellement si tu survivras aux années avec cette œuvre, majeure néanmoins, j’en ai pleinement conscience. Pourtant, tes errances avec la hotline de ton fournisseur d’accès à internet, ou l’incommunicabilité avec Sonia, 19 ans, qui parle tellement à bribe décousue, comme les autres jeunes de son siècle, nous les avons toutes connues. Alors je dirais sans risque, que tu es l’universel du moment.
Et qu’avec la plume bien taillée qui te sert de style, tu es peut-être l’universel instantané du moment le plus indispensable. Maintenant, je crains que tu ne stimules pas tout autant des cadres supérieurs ou des employés postaux à 10 jours de la retraite. Mais pour ce qui est de notre génération, tu tapes dans le mille.
C’est vrai qu’au Diable Vauvert, on aime bien le politiquement inclassable.
Au fait, je ne vous le répéterai jamais assez, chers lecteurs, mais décidément, les livres du Diable sont vraiment bien fichus. Ça fait plaisir de voir un éditeur qui met un peu d’originalité dans la conception de ses bouquins. Et c’est important de le rappeler quand on peut.