Parfois, certaines lectures vous happent sans prévenir, vous malmènent et vous ébranlent, vous plongent dans une profonde douleur mais vous retiennent pourtant jusqu’à la dernière page. Comme une nécessité, une urgence auxquelles vous ne pouvez échapper, vous lisez sans pouvoir vous arrêter, vous accrochez à chaque parole rapportée, même si l’espoir a cessé d’être, dès la première page.
Vous savez le sauvetage impossible, l’impuissance dominante, la tragédie insoutenable mais vous luttez à tout prix, imprégné d’une immense tristesse, d’un sentiment de révolte, d’une culpabilité même. Vous êtes là, avec cette petite fille, tout proche et si démuni, comme un témoin mêlé à la tragédie. Votre voix chancelante se superpose à celle de l’auteur, sans frottement ou presque. Puis se brise, au final. Un hurlement de douleur.
Epurée et à bonne distance, sans détours, sans digressions pour calmer la souffrance ou atténuer la réalité tragique, l’écriture de l’histoire (inspirée d’un fait-divers) de Diana contient en elle toute l’émotion de l’écrivain qui suivit ce procès et rend compte, avec une infinie justesse, voix après voix, de la construction du drame inexorable de l’enfance maltraitée et de son dénouement fatal. Tellement insoutenable.
Diana est une enfant malvenue, rejetée par sa mère dès la naissance. Ceux qui parlent d’elle, tour à tour la grand-mère, la tante, le frère, les institutrices, les médecins, les gendarmes, l’assistante sociale décrivent une réalité crue et sordide, un fait-divers presque ordinaire dans sa brutalité, le manque d’amour qui éloigne, déstructure, relatent les faits sans épanchement ni excès d’émotion, ne jugent ni ne condamnent, laissent le lecteur cheminer, relèvent (dans ce cas précis) l’inaptitude du système éducatif et des services sociaux à empêcher l’horreur.
A travers ces regards, se dessine un drame que chacun a pressenti sans jamais pouvoir l’empêcher. "Je sais que tout est déjà trop tard pour elle, elle me regarde, et je ne peux rien faire, et je voudrais qu'elle me pardonne."
Progressivement, au fil des mois et des déménagements, des changements d’école, malgré les signalements et les alertes des acteurs familiaux puis sociaux, la situation semble vouloir se figer, les mauvais traitements perdurer. Un éternel recommencement, comme un acharnement insupportable que nul ne peut enrayer, un dysfonctionnement majeur dont la responsabilité ne semble revenir à personne ou à tous et qui annonce « la disparition » de Diana.
Une lecture éprouvante, un lecteur abasourdi, pris de vertige. Un récit sans emphases, précis et concis, ramassé sur lui-même, tel un corps replié qui se protègerait des coups, chercherait à disparaître. s’efface derrière ses personnages, exprime avec force et sensibilité la solitude, la précarité, les rancœurs et frustrations, l’immense tristesse, la culpabilité, la colère, les réserves et les peurs, la faiblesse, l’indignation des uns et des autres face à une petite fille devenue silencieuse à jamais.
"Il m'a demandé ce que j'imaginais qu'elle aurait pu vouloir que je fasse pour elle, s'il lui était arrivé quelque chose. Je l'ai regardé, et j'ai failli lui dire qu'elle n'aurait jamais pensé à ce que j'aurais pu faire pour elle, parce que personne n'avait jamais rien fait pour elle, et que je ferais rien pour elle, puisque c'est fini. Mais j'ai rien dit."
Ce premier roman est un choc. Le coup est d’une rare violence. Absolument nécessaire. Ne l’évitez-pas !