#Roman étranger

Elsa et Frank

Joan London

Le lien qui les unissait imprégnait l'air autour d'eux. Dès l'instant où ils se réveillaient, à la lumière qui filtrait derrière les longs rideaux blancs de leurs salles communes respectives, ils n'attendaient qu'une chose : se retrouver. Frank disait que c'était comme la poésie. Que si cela vous était donné, il fallait le prendre. Le mot "amour" ne l'effrayait pas. C'était ce qui pouvait arriver de plus grand et de plus beau dans la vie. Lui et elle l'avaient reçu très jeunes. Comme une bénédiction. On est en 1954, en Australie, peu après une terrible - et bien réelle - épidémie de poliomyélite qui a fait des ravages. Frank, quatorze ans à peine, et Elsa, pas encore treize ans, durement touchés par la maladie, tentent de revivre. A l'Âge d'Or, la maison de convalescence où ils se rencontrent, les adultes autour d'eux, médecins, rééducateurs, infirmières, parents, émus par leur si touchante histoire d'amour, sont bienveillants et veulent les aider. Mais il y a une limite à ne pas franchir. Qui va l'être quand on les retrouve dans le même lit. Scandale assuré. On les sépare. Ils se reverront, mais le temps, les choses de la vie ne risquent-ils pas de les entraîner loin de ce qui aura malgré tout été pour eux un "âge d'or" ?

Par Joan London
Chez Mercure de France

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Genre

Littérature étrangère

 

Pour mes trois sœurs

 

 

Ce récit est inspiré de faits réels qui se sont passés à L’ge d’Or, une maison de convalescence de Leederville en Australie-Occidentale, qui accueillit de 1949 à 1959 les enfants ayant contracté la poliomyélite. Toute ressemblance avec des personnes liées à l’établissement, les membres de l’équipe, les patients ou leurs familles, serait pure coïncidence.

 

 

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Du feu ?

 

Un après-midi pendant la sieste, Frank Gold, le nouveau, sortit de son lit, se laissa glisser dans son fauteuil roulant et s’engagea dans le couloir. Personne à la ronde. C’était un début de mois de décembre précocement chaud, et le garçon, déjà rompu à la vie hospitalière, savait que les infirmières seraient à l’étage devant leur ventilateur. La porte du bureau de l’infirmière en chef, Mrs Penny, était fermée : elle devait faire un petit somme sur son canapé.

Son premier réflexe, comme toujours, fut de voir Elsa. Il regarda entre les gonds de la porte entrouverte de la chambre commune des filles. Son lit était juste derrière. Il aimait voir son visage endormi. Même si sa tête était tournée de l’autre côté sur l’oreiller, la vue de son épaisse natte dorée lui donnait une sorte d’espoir. Mais cet après-midi, son lit était vide.

Il continua à rouler, passa devant la cuisine silencieuse et ses bancs nus récurés à la brosse. Même les mouches dormaient. C’était comme si un sort avait été jeté sur toute la maison. Seul lui y avait échappé...

Il avait attendu ce moment. Dans sa poche, une cigarette et une petite boîte d’allumettes, volées à sa mère lors de sa dernière visite. Elle s’était absentée un moment pour s’entretenir avec Mrs Penny et avait laissé son sac à main sur son lit. Plus tard il l’avait imaginée, debout sur le quai de la gare dans la lumière crépusculaire, cherchant ses allumettes, mourant d’envie de fumer une cigarette. Les visites bouleversaient Ida. Elle ne venait pas toutes les semaines.

Par ce geste, il avait eu l’impression de reprendre possession de quelque chose. Il revenait à sa vieille nature cachottière. Il s’était senti soudain rassuré, à nouveau responsable. Agir en cachette était une façon de retrouver une intimité, et l’intimité était la première chose qu’on perdait ici. C’était un acte de résistance à l’infantilisation de ce lieu, à ses toilettes de Pygmée, à ses siestes et à ses règlements à mi-chemin entre l’hôpital et la maternelle, ainsi qu’au sentiment de régression qu’il avait éprouvé à son arrivée dans cette maison.

— Nous sommes vraiment ravis de vous accueillir parmi nous, avait déclaré Mrs Penny quand l’ambulance l’avait déposé. Les plus jeunes enfants regardent les aînés comme des modèles.

Frank scruta son visage rayonnant et comprit qu’il n’y avait rien, ici, qu’il puisse changer. Les jeux étaient faits depuis longtemps.

Il eut l’impression d’être un pirate qui aurait débarqué sur une île de petits animaux estropiés. Une grande vague les avait emportés et rejetés là – tous comme lui, échoués, impatients de rentrer chez eux.

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trad. Alice Seelow
11/05/2017 249 pages 22,50 €
Scannez le code barre 9782715245501
9782715245501
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