À l’heure où le livre a été écrit, la justice ne s’est pas encore prononcée sur les faits dont il est ici question.
À ma mère,
qui n’est plus là mais reste si présente
« Tout le monde s’y était mis. C’est à qui mentirait plus énormément que l’autre. Bientôt il n’y eut plus de vérité dans la ville. »
Louis-Ferdinand Céline
Voyage au bout de la nuit
Tout, sa carrière, sa vie, son destin, s’était joué en quelques mots. Une brève déclaration, concise mais irréversible, avait suffi à le faire basculer dans un piège sans issue.
Jérôme Cahuzac n’était certes pas le premier homme politique à mentir publiquement. Peu de ses pairs, cependant, s’y étaient risqués de manière aussi directe et avec une telle force de conviction. Tendu, le regard ferme, le visage imperturbable, il s’était comporté ce jour-là, devant la représentation nationale, comme s’il n’avait lui-même aucune raison de douter de sa sincérité. Conscient néanmoins qu’il venait de franchir un point de non-retour en affirmant sans ciller le contraire de ce qu’il savait être la vérité.
Soit cette vérité ne serait jamais découverte et il aurait, d’une certaine manière, gagné la partie. Soit une preuve contraire surviendrait et il se savait exposé au pire. Son sort était désormais suspendu à cette seule alternative.
Quatre mois plus tard, prisonnier d’une stratégie fondée sur le déni et l’espoir surtout de ne jamais être démasqué, Jérôme Cahuzac avait dû se résigner à passer aux aveux, plongeant dans la stupeur ou la colère tous ceux qui l’avaient cru sur parole. Plus que sa faute elle-même, c’est son acharnement à la réfuter « les yeux dans les yeux » jusqu’à l’ultime minute qu’ils jugeaient impardonnable.
La nouvelle était tombée dans l’après-midi du 2 avril 2013 sous la forme d’un communiqué publié sur son blog personnel, moins de deux semaines après sa démission du gouvernement. Dans la soirée, apprenant qu’il avait quitté Paris pour une destination inconnue, je l’appelai dans sa voiture comme on appelle un ami qu’on sait en perdition. Il semblait presque soulagé d’avoir parlé : « Je n’en pouvais plus. C’était devenu intenable. Il fallait que j’en sorte d’une manière ou d’une autre. » Comme s’il n’avait pas encore pris tout à fait conscience du gouffre qui venait de s’ouvrir devant lui, il se voulait encore combatif et résolu à « tout assumer ». Mais sa voix, ses silences trahissaient un homme dévasté.
Au même moment, son visage passait en boucle sur toutes les chaînes de télévision. Et à travers lui, les images saisissantes des multiples séquences où il avait réitéré ses affirmations mensongères. Des images que je regardais sans cesser de m’interroger sur les raisons d’un naufrage aussi spectaculaire. Ce qui m’intriguait, c’est précisément ce qu’elles ne montraient pas et servaient peut-être à masquer : le drame obscur, l’engrenage secret qui avaient conduit à sa perte, en pleine ascension politique, un ministre tenu pour l’un des plus doués de la nouvelle équipe gouvernementale. Hier admiré, craint et respecté, aujourd’hui frappé d’opprobre et perdu de réputation, il était devenu d’un coup une sorte de proscrit. Le paria de la République.
Extraits
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