Nous nous battrons pour que
la liberté ne soit plus
un mot beurré à la sardine.
S.L.T.
Le roman est paraît-il une œuvre d’imagination. Il faut pourtant que cette imagination trouve sa place quelque part dans quelque réalité. J’écris, ou je crie, un peu pour forcer le monde à venir au monde. Je n’aurai donc jamais votre honte d’appeler les choses par leur nom. J’estime que le monde dit moderne est un scandale et une honte, je ne dis que cette chose-là en plusieurs « maux ». Il n’y a que Dieu qui décide si un livre sera petit ou grand : mais mon livre à moi je me bats pour qu’il saute aux yeux. La vie n’est un secret pour personne. L’Etat honteux c’est le résumé en quelques « maux » de la situation honteuse où l’humanité s’est engagée.
Sony Labou Tansi
Voici l’histoire de mon-colonel Martillimi Lopez fils de Maman Nationale, venu au monde en se tenant la hernie, parti de ce monde toujours en se la tenant, Lopez national, frère cadet de mon-lieutenant-colonel Gasparde Mansi, ah ! pauvre Gasparde Mansi, chef suprême des Armées, ex-président à vie, ex-fondateur du Rassemblement pour la démocratie, ex-commandant en chef de la Liberté des peuples, feu Gasparde Mansi, hélas comme Lopez de maman, venu au monde en se la tenant, parti du monde de la même sale manière, quel malheur.
Nous le conduisîmes du village de Maman Nationale à la capitale où il n’était jamais venu avant, jamais de sa vie. Nous le conduisîmes au milieu des chants, des salves de canons, des vivats et des cris ; lui chantait l’hymne national, assis sur le dos de Moupourtanka son cheval blanc. Parce que le blanc est le symbole de la franchise, il était franc comme nous allons le voir mes frères et chers compatriotes. Derrière lui galopait fièrement Oupaka national mon frère, même père pas même mère, sur le même cheval que maman qui risque de tomber si vous la laissez seule sur cette bête. A sa gauche c’était Carvanso, à sa droite Vauban. Le peuple allait à pied. Nous étions tous sûrs que cette fois rien à faire nous aurions un bon président. Nous portions ses ustensiles de cuisine, ses vieux filets de pêche, ses machettes, ses hameçons, ses oiseaux de basse-cour, ses soixante et onze moutons, ses quinze lapins, son seau hygiénique, sa selle anglaise, ses trois caisses de moutarde Bénédicta, ses onze sloughis, son quinquet, sa bicyclette, ses quinze arrosoirs, ses trois matelas, son arquebuse, ses claies… Et quand notre frère Carvanso lui dit : « Ne vous donnez pas tant de peine monsieur le Président », il répondit : « Je n’ai pas confiance ; je ne supporterai pas qu’on dise que j’ai détourné l’argent de mon peuple. » Il nous montra ses belles dents de père de la nation dans un sourire magnanime.
On se serait dit au temps des caravanes, parce qu’il avait refusé de prendre l’avion, nous marchions, ployant sous le poids de ses biens et ne cassez rien je vous en prie… Nous chantions ses louanges. Nous étendions nos pagnes sur son passage. Il eut pour son entrée dans la capitale treize kilomètres de haies d’honneur, huit cent onze mètres de bérets rouges, trente de bérets verts ; au vu de nos soldats, il se pencha à l’oreille de notre frère Carvanso et demanda : « Qu’est-ce que c’est ? — Des tirailleurs mon colonel — Ah d’accord ! »
Extraits
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