#Roman francophone

Chouquette

Emilie Frèche

Quelle femme de soixante ans, aujourd'hui, peut sans grimacer s'entendre appeler "mamie" ? Pas Chouquette, qui a réglé le problème en recyclant le surnom de ses tendres années, au grand dam de sa fille Adèle, laquelle rêve pour son petit Lucas d'une vraie grand-mère. N'empêche, vraie ou fausse, c'est bien Chouquette qui doit jouer les baby-sitters de luxe auprès de son petit-fils renvoyé de sa colo pour cause de varicelle... pendant qu'Adèle est partie sauver le monde au fin fond de l'Afrique. Bling-bling tropézien sur fond de crash financier, c'est le décor plein soleil dans lequel Chouquette se retrouve en tête à tête forcé avec Lucas... et la réalité. Trois jours de la vie d'une sexagénaire en perte de repères, pour tirer le portrait au vitriol d'une femme qui se noie, d'une époque qui boit la tasse et d'une génération qui tente coûte que coûte de garder les yeux grands fermés. Où la satire sociale, légère, féroce et réjouissante vire progressivement à quelque chose de plus grave, de plus profond, de plus amer, de bien plus intime aussi. Et cette fantaisie sur une grand-mère au bord de la crise de nerfs devient alors le roman d'un monde en crise, du déni, de la peur de mourir et, au bout du compte, de l'héritage que nous laissons à nos enfants.

Par Emilie Frèche
Chez Actes Sud

0 Réactions |

Editeur

Actes Sud

Genre

Littérature française

“J’adore mon petit-fils. Je te le dis parce que je te vois venir, ce n’est pas la peine d’essayer de me culpabiliser, tu n’y arriveras pas. Je n’ai rien à prouver à personne, OK ? J’ai soixante balais et je veux profiter. Oui, parfaitement, PROFITER. Il me reste quoi ? Combien de belles années ? Une dizaine à tout casser ? Et encore, si j’ai de la chance. Je ne me laisserai pas bouffer. Tu peux penser que je suis un monstre d’égoïsme, je m’en balance. Tout le monde est égoïste, Adèle, toi la première. M’as-tu consultée avant de faire cet enfant ? Non. C’est bien ce que je dis, tu es une ÉNORME égoïste. Tu ne t’es pas souciée un seul instant de ce que je pouvais ressentir, et, lorsque j’ai osé te demander si tu allais le garder, tu ne m’as plus adressé la parole jusqu’à ton accouchement. Eh bien, sache-le, j’ai pris vingt ans dans la gueule. Mais ce n’est pas grave, c’est la vie, seulement maintenant, ma petite chérie, il va falloir assumer. Oui, il va falloir prendre ses RTT, trouver des écoles, des nounous, des jolies colonies ! Tu ne supportes pas l’idée d’envoyer ton fils de cinq ans en colonie ? Mais que veux-tu que j’y fasse ? Que je le prenne avec moi, peut-être ? Comment ça, parfaitement ? Tu veux que je prenne Lucas avec moi à Saint-Tropez pendant que, toi et ton jules, vous vous la coulerez douce dans la brousse ? Adèle, tu es la personne la plus drôle que je connaisse. Demande-moi un petit safari, pendant que tu y es ? Ah pardon, c’est vrai, j’avais oublié, tu ne pars pas en Afrique en vacances, mais pour travailler, bien sûr. Tu pars en mission humanitaire. Avant de t’occuper du reste de la planète, tu ferais mieux de balayer devant ta porte ! Tu sais le nombre de fois où j’ai refusé d’accompagner ton père à des dîners pour ne pas te laisser seule ? Tu sais le nombre de nuits que j’ai passées à ton chevet, quand tu avais de la fièvre, quand tu vomissais, quand tu sanglotais parce qu’un cauchemar t’avait réveillée en pleine nuit ?! Lorsqu’on choisit d’avoir un enfant, on doit accepter de se sacrifier, moi je me suis sacrifiée pour toi, oui, sacrifiée, alors maintenant, la paix ! Ton fils ira comme prévu en colonie, je ne le prendrai pas à la maison. Non, je-ne-le-prendrai-pas. Je ne suis pas organisée pour. Et mes deux Philippines, elles servent à quoi ? Je t’emmerde, Adèle. Mon personnel, c’est mon personnel ! Mes deux Philippines, comme tu dis si bien, sont des employées de maison, pas des baby-sitters, et, que cela te plaise ou non, elles sont payées pour s’occuper de nous, pas de ton fils. Oui, de nous. C’est qui «nous» ? C’est ton père et moi, Adèle. Je t’interdis de dire que ton père ne viendra pas à Saint-Tropez cette année. Je te l’interdis, tu m’entends ?! Que sais-tu de ton père et moi ? Que sais-tu de notre couple ? Tu ne sais rien, alors ferme-la. Ton père viendra à Saint-Tropez comme tous les étés, il viendra me rejoindre pour le week-end, nous donnerons une grande fête comme nous en donnions jadis, nous irons déjeuner au Club 55, nous ferons du bateau, du shopping, des arrivées fracassantes aux Caves du Roy, et tous les envieux qui parient depuis des lustres sur notre divorce se sentiront tellement cons qu’ils viendront en rampant me demander pardon ! Non, je ne prendrai pas Lucas. Non, non et non ! Question de principe. Et je ne pense pas que cela fasse de moi une grand-mère indigne, vois-tu. Je m’occupe de mon petit-fils chaque semaine, je l’emmène au zoo, au cirque, au jardin, je me ridiculise sur des chevaux de bois pendant que, toi, tu t’offres le luxe de manifester contre la faim dans le monde, alors de grâce, garde tes reproches. Je ne suis ni ta nounou, ni ma mère. Oh, je sais bien que tu rêverais que je lui ressemble, à ma mère. Elle, elle était toujours disponible ! Elle, elle t’attendait comme le messie ! Elle n’avait que ça à foutre, alors évidemment… Elle était veuve, sans un sou, je lui avais pris une chambre aux Hespérides de peur qu’elle ne s’ouvre les veines tellement la solitude lui pesait, c’est ce que tu me souhaites ? Dieu  merci, moi, j’ai encore mon mari. Pourquoi tu ris ? Dis-moi pourquoi tu ris ! Oh, et puis non, ne me le dis pas, de toute façon je m’en moque, tu peux penser ce que tu veux, vous pouvez tous pensez ce que vous voulez, je porte son nom, je suis sa femme… Non, je ne prendrai pas Lucas. Non, je ne jouerai pas les mémés alors que des minettes de vingt ans tournent autour de mon mari comme des vautours sur une charogne ! Tu rêverais de me voir les cheveux bleus, à quatre pattes en train de jouer aux Lego, je le sais très bien, je ne suis pas idiote, mais je ne tomberai pas dans ce piège, Adèle, je ne bousillerai pas mon couple pour te faire plaisir, car dis-toi bien que, s’il arrive encore à ton père de me sauter, c’est justement parce que je ne suis pas celle que tu souhaiterais. Tu es choquée ? Mais de quoi ? Tu pensais que je n’avais plus de vie sexuelle ? J’espère que c’est une blague. Il faut que tu te réveilles, Adèle, mamie Nova, c’est terminé ! Oui, je me fais sauter ! Oui, je prends mon pied ! J’ai soixante balais et je mouille encore le fond de ma petite culotte, si tu veux tout savoir !”

Commenter ce livre

 

03/02/2010 132 pages 16,30 €
Scannez le code barre 9782742787999
9782742787999
© Notice établie par ORB
plus d'informations