#Roman étranger

Heureux soit ton nom

Sotiris Dimitriou

1943. La guerre fait rage en Epire. Le village de Povla, à un souffle de la frontière albanaise, est pillé et brûlé. Alexo part avec un groupe de femmes troquer des cuivres et des tapis contre de la nourriture de l'autre côté de la ligne de démarcation ? un périple de rencontres et malencontres.

Quand un régime stalinien s'instaure en Albanie et que le pays se ferme hermétiquement, Sofia, la soeur d'Alexo, se retrouve coupée des siens pendant des décennies. Humiliations, emprisonnements, déportations sont le lot de la communauté grecque dans l'Albanie communiste.

A l'hiver 1990, Shpejtim, le petit-fils de Sofia, entreprend la périlleuse traversée des montagnes pour rejoindre la "mère patrie" et découvre une Grèce autre que celle dont il avait rêvé. A travers ces trois voix, c'est le destin de tous les otages de l'Histoire que raconte Sotiris Dimitriou, dans une langue vive et savoureuse au plus près de l'oralité populaire, en une célébration de la parole des humbles.

 

#PrixFrontieres23 - Roman sélectionné pour le Prix Frontières - Léonora Miano 2023 

Par Sotiris Dimitriou
Chez Quidam Editeur

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Genre

Littérature grecque

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Quand la guerre a éclaté, finis, les envois d’Amérique et d’Australie, adieu, l’argent et les paquets. Grand-père Spyros est descendu à Filiati acheter à crédit et il est revenu bredouille, sur le dos de sa mule.

— Nous v’là beaux. La mer est coupée. Le pétrin est franc vide, y a plus qu’à le mettre cul par-d’ssus tête.

On a tenu deux ans cahin-caha, une famille épaulant l’autre, et ce qui restait de farine et d’huile on l’a terminé à l’hiver 43.

Aux entours de la Saint-André, les Tchamidès ont déboulé au village, ils ont vidé nos coffres et pris les habits. Ma mère avait passé le manteau neuf que mon père lui avait envoyé, ils lui ont fait quitter. Et ils ont brûlé le village. Les maisons ont flambé, de vrais feux de joie. Après, tu pouvais tourner une gaule entre les quatre murs sans cogner sur rien. Les chèvres, on avait eu le temps de les planquer à Plokista.

— Où qu’est le bétail ? qu’ils ont fait.

— Les partisans l’ont pris, chef, a répondu le moukhtar.

Ils avaient pas tourné le dos que les partisans ont rappliqué. Réclamant des pâtes, de l’huile et des bestiaux. On a dit qu’on n’avait plus de bêtes, que les Tchamidès les avaient prises, mais y en a un qu’a vendu la mèche et ils les ont trouvées. De la maison du moukhtar et de celle du pope ils ont démoli ce que le feu avait laissé debout. Il est pas resté une pierre sur l’autre.

Heureusement, le moukhtar avait eu la jugeote d’envoyer une dizaine de maltaises à Ayios-Pantos, où les partisans étaient déjà passés. Histoire d’avoir une goutte de lait pour soigner les malades et pour les petits. Le moukhtar m’a dit que dans le lot y avait ma Noireaude, qui me sautait dessus quand elle me voyait et m’arrivait plus haut que la tête. Il m’aurait dit que ma soeur était sauve que ça m’aurait pas donné plus de joie.

On s’est partagé les tapis et les couvertures qu’on avait planqués dans les rochers. On a nettoyé et chaulé les étables comme on a pu et on s’est coités là, sous nos maisons.

Les hommes étaient partis. Qui avec les partisans, qui en Amérique ou en Australie. Ceux qu’étaient rétameurs en Roumélie et à Karpenissi étaient bloqués là-bas. Mon père à moi était en Amérique. Je l’avais vu plus souvent en photo que sur ses jambes. Je pensais à lui mais il me manquait pas.

 
 

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trad. Marie-Cécile Fauvin
07/04/2022 106 pages 13,50 €
Scannez le code barre 9782374912738
9782374912738
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