Bouts du monde N° 50, printemps 2022 : Alpinisme
En levant la tête vers les cimes, je ne percevais rien de ce qui se jouait là-haut. La grande montagne, pour moi, consistait surtout à mettre un pied devant l'autre, le souffle court, maudissant le poids de mon sac à dos et regardant émerveillé les sommets enneigés du Dhaulagiri ou de l'Annapurna. Les nuages menaçants pouvaient bien s'amonceler autour des arêtes sommitales, le soir venu, c'est dans un lodge salvateur que je mangerais un dhal bat. Eclairé à la lueur de la frontale, bien au chaud dans un duvet sarcophage qui promettait confort jusqu'à - 9 °C, je tournais les pages de ce bouquin déniché dans une librairie de Thamel, à Katmandou : Annapurna, premier huit mille. L'histoire d'un exploit authentique sur fond de nationalisme exacerbé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Avant de découvrir que le récit de Maurice Herzog avait fait couler beaucoup d'encre, je me posais alors cette question : comment diable pouvait-on se mettre dans un pétrin pareil ? Il faut en lire des histoires de cordées pour tenter de trouver une réponse. La bibliothèque personnelle s'est enrichie de gros livres rouges, de Lachenal, de Terray ou de Rebuffat, mais aucune réponse n'y figure de manière évidente. " Parce qu'il est là ", disait Mallory. La formule est bien pratique et elle empêche de rendre des comptes à la raison. Souvent, coincé sur une vire en attendant que le vent se calme, relié à la vie par les sangles d'un portaledge à mi-hauteur d'une paroi battue par la tempête, une autre formule vient à l'esprit des alpinistes : " Qu'est-ce que je fous là ? ".
04/2022