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Sabrina Millot

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Histoire de l'art

Le réalisme. "Pourquoi réalisme il y a"

LE LIVRE Loin de se limiter a la description du réel, les artistes réalistes ont eu a coeur de l'interpréter, afin d'offrir au public de nouvelles clés de lecture du monde. Si ce mouvement, né dans les années 1830- 1840, avant de prendre son essor sous la Révolution de 1848, paraît aujourd'hui bien sage, Courbet et d'autres peintres - Honoré Daumier, Jean-François Millet, Rosa Bonheur... - le pensèrent comme une opération de transgression ostensible et scandaleuse. C'est au début du xIxe siècle qu'apparaissent, marquéees notamment par la découverte de l'art espagnol, les premières peintures réalistes dépeignant les habitants des provinces françaises (Bretagne, Vendée, Pyrénées, etc.) dont certains peintres s'attachent a représenter tant les costumes que les coutumes. Admiré ou critiqué pour sa capacité à montrer sans détour et parfois avec brutalité le monde qui nous entoure, cet art éminemment social et politique s'intéresse en effet aux sujets "ordinaires" (paysans, blanchisseuses, etc.). Face à une société en pleine industrialisation et confrontée à un exode rural important, la vie domestique, le monde paysan, les pratiques religieuses et communautaires proposaient ainsi des sujets rassurants empreints d'harmonie et de calme. A contrario, à la fin du siècle, la peinture réaliste mettra en lumière la modernisation industrielle de l'Europe et les conflits sociaux et politiques liés aux droits des travailleurs. Loin de se cantonner à la France, Bertrand Tillier s'attelle également à démontrer le rayonnement de ce mouvement à l'échelle internationale dans les années 1860-1870, que ce soit en Angleterre, en Allemagne (Hans Thoma, Adolph von Menzel, Wilhelm Leibl, etc.) ou encore en URSS (Ilya Répine) et aux Etats-Unis (Thomas Eakins ou Winslow Homer). Rédigé par l'un des spécialistes les plus éminents de l'art du xIxe siècle et comprenant pas moins de 320 illustrations, l'ouvrage propose une analyse captivante sur cette esthétique subversive qu'est le réalisme. L'AUTEUR Bertrand Tillier est professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est également directeur des Editions de la Sorbonne et co-directeur du Centre d'histoire du XIXe siècle. Ses travaux interrogent plus précisément les rapports entre les arts et la politique aux xIxe et xxe siècles, dans la perspective d'une histoire culturelle et sociale des imaginaires et des sensibilités. Il est l'auteur de nombreuses publications, dont L'Art du xIxe siècle (Citadelles et Mazenod, 2016), La correspondance de Courbet - 20 ans après (Les Presses du Re el, 2018) et Dérégler l'art moderne, De la caricature au caricatural (Hazan, 2021).

04/2024

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Critique littéraire

Revue de la Bibliothèque nationale de France N° 61, octobre 2020 : Singeries

" Singeries : tableaux représentant des primates déguisés en humains dans des scènes comiques dans la France du XVIIIe siècle ; grimaces des hommes, en référence aux soi-disant mimiques de leurs cousins primates. " Une ressemblance troublante Ce dossier de la Revue de la Bibliothèque nationale de France remonte aux bases de l'histoire naturelle et de la primatologie, avec " Jocko ", petit chimpanzé que Buffon fait naturaliser assis sur un tabouret. D'emblée, c'est la ressemblance physique du singe avec l'homme qui interroge : une autre discipline s'en empare, la physiognomonie, qui entend déduire la personnalité d'un individu à partir de son apparence physique. Pour autant, Lavater, son fondateur, ne s'y intéresse que pour le maintenir à distance. se méfie des comparaisons hâtives avec les animaux et réaffirme au contraire la supériorité de l'homme (du fait de ses convictions religieuses). Il faut attendre les Lumières puis la théorie de l'évolution des espèces de Darwin (1858) pour soustraire l'homme du cadre biblique et l'insérer au sein du règne animal. L'apparition du grand singe en Europe, à travers les circuits de l'esclavage notamment, pose la question des limites de l'humain. Un imaginaire raciste se diffuse alors par l'intermédiaire des zoos humains et des spectacles de freak shows, remplacés à partir des années 1930 par l'industrie du cinéma. Les " singeries " dans les arts Dans les arts picturaux et ornementaux, la représentation du singe et plus largement de l'animal évolue : si le motif simiesque est très apprécié dans l'Antiquité, il devient plus rare dans l'imagerie chrétienne, car associé au péché et très vite relégué à un statut purement décoratif qui annonce les singeries du XVIIIe siècle, comme chez Chardin ou Grandville. Au cours du XIXe siècle, le singe est de moins en moins représenté sous une forme anthropomorphique. Influencé par la société protectrice des animaux (fondée en France en 1845), l'art animalier se renouvelle en profondeur, remettant en cause la suprématie de l'homme dans la hiérarchie naturelle. Le rapport homme-singe a beaucoup inspiré la littérature, brouillant les frontières inter-espèces. Les premiers orangs-outans, exhibés au début du XIXe siècle, comme dans la nouvelle d'Edgar Poe L'Orang-outan, nous renvoient l'image de notre propre bestialité. De même, Pierre Boulle qui publie en 1963 La Planète des singes, adapté au cinéma en 1968, s'interroge sur la nature conflictuelle et mimétique des relations entre l'homme et l'animal. Les singeries du côté des singes Le singe est-il véritablement cet imitateur divertissant que l'on s'est plu à définir au fil des siècles ? L'imitation est un processus essentiel de l'apprentissage chez les primates, comme le démontre l'expérience menée avec Nénette, orang-outan le plus célèbre de la ménagerie du Jardin des Plantes. Pour revenir sur ce mythe de singe imitateur, Sabrina Krief, primatologue et professeure au Muséum national d'histoire naturelle, spécialiste des relations entre humains et grands singes, analyse les comportements de ces derniers en Ouganda, de l'automédication à l'apprentissage. Elle milite pour la reconnaissance de la vulnérabilité des primates et de leur environnement : ces espèces doivent être mieux connues pour être mieux protégées pour leur valeur intrinsèque, et non parce qu'elles répètent des scénettes inculquées sous la contrainte du dressage. Rubriques " Autour d'une oeuvre " dédié à la première " revue du nu ", Le Nu esthétique (1902), à mi-chemin entre académisme et érotisme " Découverte " de l'art des feux d'artifice au XVIIe siècle à partir de manuscrits conservés à la BnF Une " galerie " consacrée à un passionné de théâtre, Guillot de Saix, et à son don au département des Arts du spectacle " Innovation " (à confirmer) : la naissance du patrimoine numérique (E. Bermès)

10/2020

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Histoire de France

Chantres maudits de l'Europe nouvelle ! Conférences du Groupe Collaboration

Le Groupe Colla­bo­ration, autorisé en février 1941 et forte­ment soutenu par l'ambassadeur Otto Abetz, continue l'oeu­vre du Comité France-Allemagne d'avant la guerre et tra­vaille en liaison étroite avec l'Institut allemand, émana­tion des ser­vi­ces cultu­rels de l'ambassade. Le président est Alphonse de Château­briant, directeur de l'heb­do­­ma­­daire La Gerbe. Son comité d'honneur com­prend le physi­cien Geor­ges Claude, le cardinal Baudrillard, les écrivains Abel Bon­­nard et Abel Hermant, Fernand de Brinon. Un groupe de jeunes est fondé par Marc Augier (le futur écri­vain Saint-Loup), bientôt rem­­­pla­cé par l'avocat Jacques Schweit­­­zer : Les Jeunes de l'Europe nou­velle (JEN). D'abord limité à la zone occupée, le groupe Colla­bo­ra­tion est autorisé en zone libre dès la fin de 1941 et orga­nise à tra­vers toute la France une soixantaine de sous-comités. L'association veut plus culturelle que politique et se tourne vers la diffusion d'appels en faveur de l'unité du continent euro­­­péen ; Drieu en est le chantre et compte sur le iiie Reich pour réaliser cette unité : "L'Allemagne est en train de se faire euro­péenne, de pren­dre cons­cience de toutes les éten­dues et de tou­tes les limites de l'Europe par une dou­ble expé­rience extérieure et intérieure dont nous ne soup­çonnons pas l'am­pleur. " En dépit de tous ces efforts, l'organisation de Cha­teau­­briant ne tarde pas à entrer en léthargie, la seule activité notable en devient la tenue régu­­lière de conférences en faveur de la politique d'en­tente franco-allemande". Sont réunies dans ce premier volume quatre conférences du Grou­pe Collaboration, données en 1941 à la Maison de la Chi­mie à Paris : "Vers une nouvelle Europe" ; "La Révo­lu­tion technique et ses conséquences" ; "L'avenir de la quali­té française dans la protection européenne" ; "Notre rôle européen" ! Sommaire La Révolution technique et ses conséquences - Jean Maillot, préambule de Jacques Duboin Conférence données le 5 avril 1941 sous les auspices du Groupe "Collaboation" à la Maison de la Chimie à Paris Vers une nouvelle Europe - Baron Werner von Rheinbaben Conférence données le 19 avril 1941 sous les auspices du Groupe "Collaboation" à la Maison de la Chimie à Paris L'avenir de la qualité française dans la protection européenne - Henri-Marcel Magne, préambule de Jean Weiland Conférence données le 10 mai 1941 sous les auspices du Groupe "Collaboation" à la Maison de la Chimie à Paris Notre rôle européen - Jacques de Lesdain Conférence données le 1er juin 1941 sous les auspices du Groupe "Collaboation" à la Maison de la Chimie à Paris

08/2014

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Sports

La fabuleuse histoire des lions indomptables. De Samuel Mbappé Léppé à Samuel Eto'o

Créée en 1960, l'équipe nationale de football du Cameroun, les Lions indomptables dès son premier match officiel, fît sensation en battant la Somalie par 9 buts à 0. Ce fut le début d'une longue histoire, riche en émotions diverses, qui apportera de la joie, du plaisir, de l'extase, du brio technique et de la plénitude, mais aussi de la tristesse, de la déception, et le sentiment d'impuissance et de gâchis. Ce qui fait des Lions indomptables du Cameroun, l'une des équipes nationales les plus connues dans le monde. Après plus de cinquante ans d'histoire, c'est aujourd'hui six participations à la Coupe du Monde avec un quart de finale en Italie en 1990, 16 participations à la phase finale de la Coupe d'Afrique des Nations dont quatre victoires sur six finales, une victoire en Coupe Afro-asiatique, une finale de Coupe des Confédérations FIFA et une médaille d'or aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Pourtant, indomptable, le ministre Félix Tonye Mbock qui a entrepris de rebaptiser ainsi la sélection en 1973 ne s'imaginait certainement pas qu'elle le deviendrait un jour. Que ce soit la première génération, des Samuel Mbappé Léppé, Eugène Njo Léa suivi par la génération des années 1970 des Jean-Pierre Tokoto, Michel Kaham, Jean Manga Onguéné, que ce soit la génération des années 1980 des Roger Milla, Joseph Antoine Bell, Thomas Nkono, celle des années 1990, avec les Stephen Tataw, Thomas Libih, Kana Biyik, Omam Biyik, ou la génération des années 2000 des Rigobert Song, Gérémi Njitap, Marc-Vivien Foé, Patrick Mboma, Samuel Eto'o, ces cinq générations successives auront contribué à la reconnaissance mondiale du Cameroun comme grande nation de football et à la perpétuation du rituel de l'identité collective au Cameroun. Pour l'auteur, il était important de rendre hommage à tous les acteurs qui ont écrit cette histoire, mais aussi de reconstruire un parcours permettant aux plus jeunes et aux générations futures de comprendre pourquoi les Lions indomptables représentent tant pour l'identité collective du Cameroun. Il lui a fallu plusieurs années de fouille dans les archives et les documents épars sur l'histoire des Lions indomptables. Au final, c'est un ouvrage inédit qui retrace l'histoire des Lions indomptables, en un seul document, illustrée par près de 200 images, aussi rares les unes que les autres, ainsi que des annexes comportant les feuilles de matchs depuis 1960, les noms des joueurs ayant revêtu le maillot à la tête du lion, les résultats des matchs, même amicaux, les listes des entraîneurs, des présidents de la fédération camerounaise de football et des ministres des sports.

05/2014

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Grands textes illustrés

Le lièvre et la tortue

Le Lièvre et la Tortue Rien ne sert de courir ; il faut partir à point... Une Tortue lance à un Lièvre un pari saugrenu : courir une distance en un temps plus menu. Pari conclu. La Tortue se lance aussitôt. Le Lièvre prend d'abord quelque repos. La Tortue, résolue, se hâte avec lenteur. Le Lièvre, vaniteux, ne court qu'à ses heures. Lequel de nos amis remportera ce défi ?

03/2022

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Pléiades

Robinson Crusoé

Si l'on s'en était tenu à la volonté de Defoe, son nom n'aurait jamais été associé à celui de Robinson Crusoé. Les historiens de l'Angleterre seraient sans doute les seuls à le connaître aujourd'hui, en tant qu'espion, ou en tant qu'homme de plume à l'activité presque exclusivement politique. En effet, lorsque paraît à Londres, en 1719, la première partie de Robinson Crusoé, le récit des aventures de ce marin qui a passé vingt-huit ans sur une île déserte (ou presque) est censé avoir été "écrit par lui-même". Le succès immédiat et considérable du livre ne change rien à l'affaire : Defoe n'en revendique pas la paternité. Le nom véritable de l'auteur, connu de quelques rares contemporains, demeurera tu plusieurs décennies encore après sa mort. Et c'est une chose singulière que "l'un des premiers maîtres du roman", selon Virginia Woolf, ait soigneusement évité de passer pour romancier. De Robinson Crusoé on ne connaît le plus souvent que la première partie, celle de l'épisode insulaire. La survie du héros y est décrite avec un réalisme d'une puissance inédite jusqu'alors - et inaltérable. C'est qu'il importe pour Defoe que son récit soit de la plus grande véracité possible. La présente édition reproduit également la seconde partie du roman, écrite dans la foulée. Les aventures picaresques s'y multiplient, conduisant le héros jusqu'en Chine et en Russie. À mesure que l'histoire avance, la voix du narrateur semble se dissocier peu à peu de celle de Robinson, qui, progressivement, tend à se rapprocher de la figure de Don Quichotte. La portée édifiante du récit, revendiquée par l'auteur, s'estompe au profit de la pure joie romanesque. "Tant que notre goût ne sera pas gâté sa lecture nous plaira toujours", écrivait Rousseau à propos de Robinson. Virginia Woolf estimait pour sa part que ce roman "ressemble à l'une de ces productions anonymes de toute une race plutôt qu'à l'effort d'un seul homme ; la célébration de son bicentenaire [1919] nous renvoie aux commémorations dont nous pourrions honorer le site multiséculaire de Stonehenge lui-même. Cela vient de ce qu'on nous a tous lu Robinson Crusoé pendant notre enfance, et l'état d'esprit dans lequel nous avons été à l'égard de Defoe et de son histoire est semblable à celui des Grecs à l'égard d'Homère". Le texte de Defoe est accompagné ici – pour la première fois – par les cent cinquante gravures que l'artiste suisse F.A.L. Dumoulin (1753-1834) avait réalisées à partir du roman. Un dossier iconographique retrace par ailleurs deux cents ans d'illustrations, depuis le frontispice de l'édition originale (1719) jusqu'aux chefs-d'oeuvre de N.C. Wyeth (1920). L'appareil critique proposé par Baudouin Millet a été spécialement établi pour la présente édition : il s'agit de la première édition critique en français des deux parties de Robinson Crusoé. Quant à la traduction, c'est celle, classique, que donna en 1836 Pétrus Borel. Borel (sans lequel il y aurait "une lacune dans le Romantisme", disait Baudelaire) et son travail de traducteur sont d'ailleurs présentés par Jean-Luc Steinmetz à la fin du volume.

11/2018

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Critique

Traité d'harmonie littéraire

Après Français langue morte (Richard Millet), nous n'allions pas laisser notre pays dans l'embarras. Il fallait bien procurer d'urgence à l'immense "Titanic réputé insubmersible, en route vers le meilleur des mondes" une simple trousse de survie, d'ailleurs inscrite à notre programme depuis cinq ans : Ghislain Chaufour s'est extirpé du long confinement dans le silence harassant des machines, après un temps d'incubation extrêmement lent, pour présenter enfin au public cette Åuvre nécessaire, prodigieuse et salutaire, le Traité d'harmonie littéraire, propre à redonner à ce pays son "sentiment de la langue" apparemment perdu. "Vous n'êtes pas très productif" , lui disait Pierre Boutang, son professeur de philosophie en classe de Terminale (1968). Sans doute, comme tous les organismes complexes sensibles, Ghislain Chaufour a-t-il été lui-même touché d'abord par la "démantibulation du langage" que prévoyait Wittgenstein et l'effondrement d'un monde où toutes les notions péniblement acquises à l'école de la littérature française et de la civilisation européenne se sont trouvées brutalement mises en cause avec une force effroyable. Or il n'est pas du genre à répliquer avec des coups dans le vide : s'il attend, il vise juste et il atteint sa cible en une fois. Après un long et rigoureux effort de renseignement et de respiration, ces deux cents pages très bien ficelées parfaitement efficaces dégomment donc et déboulonnent une à une les imposantes idoles vieilles de quelques siècles qui peuvent aussi bien nous tomber dessus et nous écraser : la Science, l'Evolution, la Méthode expérimentale, le Doute plus ou moins académique, le Hasard⦠En s'attaquant vaillamment à toutes ces vieilles chimères mal embouchées il pourrait aisément passer pour une espèce de Don Quichotte, et c'est ce que disent de lui ses adversaires : "Vous exagérez beaucoupâ¦? - Oui, mais pas assez" , répondait-il à son interlocuteur à l'occasion d'un précédent livre. Or ici il n'en est rien, sa démonstration est aussi rigoureuse qu'implacable. L'Univers a-t-il pu "A se créer spontanément à partir de rien" , comme l'affirmait Stephen Hawking ? Il n'y a "rien qui ressemble à une preuve absolue" , où donc "la science moderne trouverait-elle l'ultime garantie si les mathématiques pures elles-mêmes ne la lui procurent pas, ni les expériences ? " Considérant la misère et les tribulations de l'homme peinant et existant, Chaufour retourne l'opposition entre l'Universel en majesté supposé "antérieur" mais abstrait et les singularités qui sont les vrais objets de connaissance. "Grande sottise de croire que la science consiste dans la connaissance des universaux". C'est ainsi que les mathématiques asservies au productivisme ont propagé dans "l'Etat industriel et bureaucratique" les illusions du travail mortifère. Contre ce danger extrême et celui d'être dégoûté sans remède par des professeurs ignorants, Ghislain Chaufour refuse de condamner les sens et s'étonne de la répulsion que le charnel singulier suscite chez les platoniciens, les gnostiques, les "cathares" , les idéalistes et mêmes les matérialistes de tous les temps. Il redonne la valeur de vérité aux fables : la poésie est fable capable de conseils salutaires, et non "forme" vide de sens⦠"L'ennui vient d'une déception" , et contre elle il s'agit de retrouver l'usage du libre-arbitre, authentique merveille du monde étrangère au hasard et à la nécessité. L'évolutionnisme idéologique des automates, à l'inverse, dénigre l'origine spirituelle de chaque création et du langage lui-même. En séparant le sensible de l'intelligible, et les passions de la raison, "nous avons perdu le grand art de signifier par la beauté" . Or il se trouve que ces derniers mois nous auront disposés à recevoir ces objections : nous sommes nombreux à éprouver assez distinctement la fragilité et néanmoins la capacité de nuisance des rhétoriques scientifiques, ainsi que leur impact dans l'économie réelle, sur la vraie vie et la santé en général, mais également le risque totalitaire qu'elles font courir à justifier une "dictature hygiéniste" bien difficile à domestiquer. La prise de pouvoir politique par la "Science" qui paraissait réservée à la propagande soviétique s'attaque désormais aux thérapeutes et il est de notoriété publique que les pseudo "savants" au service de l'Ordre industriel les poursuivent en justice. Ghislain Chaufour revient très raisonnablement à des fondamentaux : c'est philosophiquement qu'il remet à sa place la philosophie et naturellement qu'il redonne à la "fable" sa légitimité comme interrogation complète posée à même le monde : "A la littérature vise le concret" . C'est un fait établi que le monde est créé, tandis que "la perfection divine implique une extrême sensibilité aux malheurs des créations" . Si le christianisme greffé sur l'arbre juif "A semble ne pas encore avoir commencé" , le pugiliste s'est modernisé et ne se laisse pas impressionner ni récupérer. Véritable Gilet jaune de la métaphysique sachant donner de la gauche et de la droite, sa méthode l'apparente plutôt au bulldozer qui enfonce les portes obstinément fermées : avec beaucoup d'efficacité, le platonisme, Descartes, Kant, Hegel, Heidegger et même Jacques Monod sont délogés sous nos yeux, démasqués, laminés. Du moins théoriquement car en pratique la propagande en leur faveur va redoubler et expédier ad patres ses accusateurs et témoins dérangeants, nous le savons bien.

04/2021

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Littérature comparée

Revue de littérature comparée N° 377, janvier-mars 2021 : La RLC a 100 ans

Daniel-Henri PAGEAUX, Regards sur cent ans de comparatisme On a souhaité donner d'abord, de façon tout à la fois précise et synthétique, un historique de la RLC, en insistant sur les orientations intellectuelles, voire philosophiques qui ont présidé à sa fondation, puis en donnant un panorama aussi détaillé que possible des questions et des thèmes abordés, en particulier à partir des numéros dits "spéciaux" . En un siècle, la RLC a su tenir, tant au plan national qu'international, un rôle et une fonction de tribune, de lieu permanent d'échanges, de propositions et de réflexions. Bernard FRANCO, Fernand Baldensperger et les premières définitions de la littérature comparée Dans le tout premier article de la Revue de Littérature Comparée publié peu de temps après la fin de la Première Guerre mondiale, Fernand Baldensperger propose une définition de la littérature comparée imprégnée d'un idéal humaniste qui a traversé l'histoire de la discipline. Il la rapproche de la méthode de l'histoire littéraire prônée par Lanson et de l' "histoire comparée des littératures" évoquée par Joseph Texte, dans une relation ambivalente d'opposition avec la méthode des parallèles. Une telle conception est proche des origines romantiques de la discipline, qu'il s'agisse des premières définitions de la littérature comparée chez Ampère ou du relativisme esthétique propre à la critique romantique en général. Mais dans sa volonté d'embrasser les sciences humaines, Baldensperger défend également une conception de la discipline bien plus moderne qu'on ne l'a souvent dit. Francis CLAUDON, Fernand Baldensperger (1871-1958). Retour sur une ambition F. Baldensperger (1871-1958), premier directeur de la RLC, a laissé des mémoires. Une vie parmi d'autres (1940) comporte bien des indications intéressantes. L'expérience de l'étranger s'est faite, pour lui, vers 1880-1890, à Saint- Dié et à Zurich, par et contre l'Allemagne du Reich wilhelminien. D'autre part Baldensperger s'est élevé contre une certaine myopie intellectuelle de l'époque. Sa carrière s'est développée grâce à des appuis politiques (L. Liard, S. Charléty, M. Barrès), ses emplois, (Strasbourg en particulier, au moment de la fondation de la revue) ont été des choix calculés. Sa conception des "interrelations littéraires" s'inscrit dans la tradition historiciste de Taine ; elle diffère, sans l'exclure, de celle, formaliste et esthétisante, de ses contemporains germaniques (Walzel, Jolles). Pierre BRUNEL, Paul Hazard (1878-1944) Trop tôt disparu, Paul Hazard a fait une brillante carrière, qui l'a conduit au Collège de France en 1925 et à l'Académie française en 1940. Originaire du Nord, il a été attiré par l'Italie et il est devenu le maître des études sur les littératures du Midi, mais sans jamais perdre le contact avec ses origines tant comme écrivain que comme comparatiste. Plus jeune que Fernand Baldensperger et à certains égards pouvant être considéré comme son disciple, il a été choisi par lui pour diriger, à sa fondation même en 1921, la Revue de littérature comparée. Elle lui doit beaucoup, même si, très respectueux de celui qui présida à ses destinées de comparatistes, il tendait à s'effacer derrière lui. Il a d'ailleurs, après 1935, assuré une continuité indispensable et, grand voyageur, comme Baldensperger, il s'est comme lui, largement ouvert au monde. Etienne CROSNIER, Paul Hazard, l'amour d'une vie pour les littératures du Nord Né à Noordpeene, près de Dunkerque, Paul Hazard (1878-1944), ancien élève de l'ENS et agrégé de Lettres classiques, est considéré aujourd'hui comme le grand spécialiste de la littérature italienne du XVIIIe siècle. Sa thèse de doctorat, La Révolution française et les lettres italiennes (1789-1815), en est la pierre angulaire. Mais Paul Hazard ne s'est jamais détourné de ses premières amours, les littératures nordiques. Il met ainsi en lumière, dans "L'invasion des littératures du Nord dans l'Italie du XVIIIe siècle" (RLC, 1921), l'influence et la modernité des oeuvres d'Ossian, Shakespeare et Goethe. Avant de nous surprendre avec un essai, Le Charme d'Andersen (1930), qui révèle, au-delà de son attachement aux littératures enfantines, l'humanisme profond de l'enseignant et du chercheur qu'il n'a jamais cessé de manifester dans ses écrits. William MARX, Comparatisme et nationalisme au lendemain de la Grande Guerre Fondée au lendemain de la Première Guerre mondiale dans une Europe saignée et dévastée, la Revue de littérature comparée se donna pour mission d'ouvrir à un "nouvel humanisme" adapté à ce monde sortant à peine des cendres, et susceptible de retarder un feu qui ne demandait qu'à renaître. Or, dans un contexte marqué de nationalismes exacerbés, l'histoire comparée des littératures ne fut pas toujours considérée comme une entreprise neutre et pacifique. La Revue elle-même, qui fut dès le départ traversée de ces tensions, sut toutefois se doter d'un programme théorique suffisamment solide pour s'en délivrer. Yves CHEVREL, Vingt-cinq ans après : le recommencement Durant l'occupation de la France par les nazis, de 1940 à 1945, la direction de la RLC a décidé de ne pas publier la revue. L'année suivante en Grande-Bretagne parait, à Cardiff, une revue qui en assure l'intérim : Comparative Literature Studies. F. Baldensperger y publie, en 1945, un article où il revient sur les débuts de la RLC, en rappelant les espoirs soulevés par la fin de la "Grande Guerre" et en les confrontant aux réalités qui ont suivi. De son côté, J. -M. Carré titre "Recommencement" l'article de tête de la première livraison de la RLC à reparaître en 1946. Les deux articles, de tonalités différentes, manifestent l'un et l'autre la volonté de concevoir la littérature comparée comme une discipline au service d'un humanisme moderne. Véronique GELY, Les "femmes de lettres" dans les quatre premiers numéros de la Revue de littérature comparée La Revue de littérature comparée en 1921 reflète la difficile entrée des femmes dans le champ littéraire, aussi bien comme objets que comme sujets d'étude et d'analyse. Mécènes, étudiantes et chercheuses, les écrivaines sont peu visibles dans les titres des différentes rubriques. Elles sont toutefois bien présentes. La RLC mentionne et commente les travaux de chercheuses qui sont parfois citées comme des autorités. Le phénomène le plus marquant est la référence constante faite à "Madame de Staël" , véritable "mère fondatrice" de la littérature comparée. Jean CANAVAGGIO, Un maître des études hispaniques et sa collaboration en 1921 à la Revue de littérature comparée. Alfred Morel-Fatio (1850-1924) On doit à Alfred Morel-Fatio une brève contribution au premier numéro de la Revue de Littérature comparée. Le présent article, après en avoir résumé le contenu, retrace la carrière du fondateur des études hispaniques en France et s'emploie à montrer comment on peut comprendre qu'il n'ait pas donné une étude plus importante aux deux éditeurs de la revue. Chantal FOUCRIER, De She à L'Atlantide : une polémique questionnée par La Revue de littérature comparée en 1921 On connaît le succès remporté par L'Atlantide, roman que Pierre Benoit fit paraître en 1919 et qui valut à ce dernier l'accusation d'avoir plagié She, récit qu'avait publié Henry Rider Haggard en 1887. L'affaire ayant suscité un procès, la presse se divisa dans d'innombrables articles qui ont contribué à donner à la question judiciaire la portée d'un débat intellectuel. En 1921, la Revue de Littérature Comparée fit état de cette polémique comme point d'appui d'une réflexion sur l'exploitation des sources dans la création littéraire. C'est à ce titre qu'elle intégra l'analyse des deux romans qu'avait rédigée l'angliciste P. -H. Cheffaud à la demande de Pierre Benoit en 1920. Après avoir éclairé le type d'arguments développés dans ce texte-plaidoyer, la présente étude se propose de montrer que celui-ci trouve plusieurs échos dans les problématiques comparatistes du moment, telles que l'influence des oeuvres étrangères comme ferment de l'originalité dans les littératures européennes. Dominique MILLET-GERARD, Claudel - Dante 1921 Cet article étudie l'Ode jubilaire pour le six-centième anniversaire de la mort de Dante, composée par Claudel sur la suggestion de l'italianiste Henry Cochin et publiée dans le Bulletin du jubilé du Comité catholique français. L'Ode est évoquée à deux reprises dans la Revue de littérature comparée de 1921. Doublé - comme dans la Vita Nova - d'un texte en prose explicatif, ce long dithyrambe en vers libres, nourri de citations de Dante, est esentiellement constitué d'une double prosopopée, celle de Béatrice suivant celle de Dante, sur les thèmes de l'exil, de l'amour et de la Joie, ce qui en fait un palimpseste du Soulier de Satin. De fait, l'impact autobiographique de l'Ode apparaît manifestement au regard des Lettres à Ysé contemporaines, et récemment livrées au public. Célébration et comparaison semblent ici céder le pas à une discrète substitution.

08/2021