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Revues de cinéma

Cahiers du cinéma N° 795, février 2023

Qu'un cinéaste comme Steven Spielberg revienne sur ses années de jeunesse, sa découverte du cinéma, et avec elles, les joies et souffrances qui l'accompagnent, est un véritable événement. Parce qu'il est sans doute le cinéaste américain pour qui l'enfance a le plus eu une place privilégiée. Mais aussi parce qu'à 76 ans, il a fini par représenter comme aucun autre l'idée du cinéma comme émerveillement, à une époque où le rapport au spectaculaire et à la salle semble plus tourmenté que jamais. Des entretiens avec Michelle Williams (qui joue le rôle de sa mère dans the Fabelmans, et figure en couverture de ce numéro) et Tony Kushner (producteur et scénariste), ainsi que plusieurs textes analysant l'oeuvre de Spielberg abordent par plusieurs biais celui qui restera sans doute comme le film le plus important et singulier de sa carrière. La sortie en version restaurée de Sois belle et tais-toi ! de Delphine Seyrig, où l'actrice donnait la parole, en 1975, à vingt-trois comédiennes, est l'autre événement de février : il rappelle l'importance historique de ce film mais aussi la singularité d'une figure essentielle, Seyrig, sans doute l'une des plus aimées de l'histoire de la revue, approchée à différents moments de son travail dans un "Cinéma retrouvé" diffracté et fourni. Les sorties du mois, entre autres les nouveaux films de M. Night Shyamalan et de Hong Sang-soo, ainsi que d'autres manifestations, expositions, cycles et parutions, comme le monumental volume des carnets d'Ingmar Bergman, complètent ce numéro.

01/2023

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Poésie

Une histoire de bleu suivi de L'instinct du ciel

"Une histoire de bleu date de 1992, L'instinct de ciel, de 2000. Ces oeuvres de la maturité succèdent à des volumes de poésie et d'essais ; à huit ans de distance, les deux titres se font écho dans leur questionnement du bleu, du blues, face à l'immense de la mer ou du ciel. Ce n'est pas là pur oubli de la terre, juste un lucide constat d'une marée basse de l'Histoire : "Pas de vagues, surtout pas de vagues, se répètent ceux qui les gouvernent. Il faut tenir jusqu'au printemps. Mais le printemps ne viendra plus. C'est l'hiver. On attend la neige". Ou bien : "La comédie humaine récite avec des couacs sa monotone histoire aux terrasses des cafés et sur les bancs publics de partout". "Grise est la demeure du présent". Dès lors, l'écriture va se fixer sur la persistance fragile de vivre à travers les amours et les morts, le quotidien simple des "journaux du soir" ou du "carnet d'un éphémère". On aurait cependant tort de penser à une poésie narcissique : si le "je" est présent, il est diffracté à travers d'autres figures : tu, il, on, nous... Ce mouvement dans l'énonciation est une des structures d'Une histoire de bleu. Le poète se détache des hommes autant qu'il se confond dans leur humanité sans gloire, mais désireuse de beauté. La poésie de Maulpoix tient aussi bien à l'aveu des défaites, des bleus à l'âme, qu'à sa résistance instinctive au nihilisme. Autrement dit, c'est une oeuvre qui touche par ses tensions internes et sa capacité de sourdine. A kind of blue". Antoine Emaz.

11/2005

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Critique littéraire

Césaire, Perse, Glissant. Les liaisons magnétiques

Aimé Césaire. Saint-John Perse. Édouard Glissant. Trois des plus grands poètes de tous les siècles. Pourtant, il nous est difficile d’envisager une entité pareille. Dans l’ordinaire perception, on les distingue, on les oppose, on les distingue en les opposant. Le contexte historique et politique accuse cette perception d’antagonismes définitifs. L’homme de l’Afrique et de la Négritude. L’homme de l’universel conquérant, orgueilleux et hautain. L’homme des chaos imprévisibles du Tout-Monde. Derrière ces classifications, on sent bien que persiste notre impossibilité à envisager l’unité-diversité, les solidarités conflictuelles, les ruptures qui rassemblent, les écarts convergents. Dès lors, il nous faut tenter de deviner leur inévitable relation, ces "liaisons magnétiques" qui les rassemble sans les confondre, et qui nourrissent, et leurs mouvements particuliers et leurs musiques secrètes. La liaison magnétique est rétive aux rapprochements généralisants. Elle est tremblante, légère, subtile, réversible, diffractée et infime. Elle va de notes en contre-notes, de sentiments en longues rêveries. Sa fécondité provient de l’intensité des imprévisibles qu’elle suscite, des déplacements, combinaisons et dispositions nouvelles qu’elle suggère. Césaire. Perse. Glissant. La magnétique puissance de ces solitaires ne les rend-elle pas finalement solidaires ? Patrick Chamoiseau nous livre ci sa perception très libre de trois des plus grands poètes du vingtième siècle. Une année de lectures et de relectures, au fil des saisons antillaises, des vents, des chaleurs, de la pluie. De notes en contre-notes, au contact de ces forces poétiques, s’ouvre le mouvement océanique d’une conscience qui envisage son pays, dessine les contours de son Lieu, éprouve les événements contemporains, se questionne et questionne sans cesse les mutations imprévisibles et les beautés du monde.

10/2013

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Critique littéraire

Pratiques de Corneille

"Corneille" n'existe pas. Telle est la bonne nouvelle de ce livre conçu lors du quatrième centenaire de la naissance de Pierre Corneille (juin 1606). Du moins n'existe plus guère, et on peut s'en réjouir, un Corneille statufié, monolithique, on serait tenté de dire de pierre... Mais si la statue de Corneille s'efface ici, c'est pour laisser place à un portrait diffracté, complexifié, résolument ancré surtout dans l'étude des pratiques concrètes dont l'oeuvre de Pierre Corneille est à la fois le résultat et le point de départ : que fait Corneille, et que fait-on de lui, en son temps et après? Telle est la question qui guide les analyses de cet ouvrage. " Il est facile aux spéculatifs d'être sévères ", ironisait Corneille, invitant les doctes à mettre les règles" en pratique aussi heureusement" que lui-même l'avait fait (Discours des trois unités, 1660). Corneille, s'il est penseur ou poéticien, ne l'est en effet qu'au regard de pratiques, codifiées par des "arts" ou s'inventant à mesure, qui influent les uns sur les autres : comment s'articulent les pratiques de Corneille dramaturge, poéticien, mais aussi editor, paraphraste, académicien ou sujet du royaume de France? Tissu d'actions d'autant moins séparées que le "champ littéraire " et l'expérience esthétique n'ont nullement acquis encore l'indépendance qu'ils revendiquent déjà. Comment retentissent sur l'oeuvre le travail de la scène, les réactions du public, les jugements critiques, les réécritures et appropriations? Tout en distinguant le temps de la réception de celui de la création, les six sections de l'ouvrage examinent de façon croisée les pratiques de Corneille et celles de son interprétation (théâtrale, critique) dans le temps, avec pour enjeu de restituer à l'oeuvre de Corneille, dans sa diversité, sa dimension d'expérience.

12/2012

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Vie chrétienne

Capitale

C'est en romancier au grand style que Jonathan Siksou se fait le promeneur de Paris égrenant les lieux et les siècles. Qu'est-ce que voir la sédimentation des âges à travers la destruction et la reconstruction des paysages ? Qu'est-ce que revoir le temps qui passe ? Un événement de la rentrée littéraire. Rues et statues, défilés et bals, décrets et émeutes, crues et incendies, saints et assassins : c'est la France qui, à travers Paris, comme en un kaléidoscope, se diffracte, se déroule et se donne tout en sourires et en larmes dans son éternel quotidien. Qu'est-ce une ville, sinon un livre tissé de livres s'ouvrant devant qui désire déchiffrer les époques, les lieux, les êtres qui l'ont façonnée ? Qu'est-ce voir vivre et mourir une ville, la concevoir siècle après siècle à se construire et à se détruire jusqu'à ne plus savoir ce qu'elle est ? Qu'est-ce le souvenir d'une ville s'il ne fait pas mémoire ? La mémoire d'une ville, si elle ne fait pas histoire ? L'histoire d'une ville si elle ne se fait pas récit ? Qu'est-ce revoir le temps qui passe et qui efface inexorablement la pierre, l'événement, le visage qui ne subsistent plus alors que dans l'écrit ? C'est en écrivain au grand style, précis et libre, ascétique et inspiré, que Jonathan Siksou se fait l'ultime promeneur de Paris, entraînant à sa suite les chroniqueurs qui l'ont précédé et qui ont tout raconté, tout chanté, tout filmé de la ville-lumière. Sauf comment, dans la Capitale, notre passé devient notre présent au point de réduire l'avenir à une nostalgie. Une démonstration littéraire à hauteur de la plus fascinante des villes du monde. Une métaphysique de l'urbanité. Un roman. Le nôtre.

08/2021

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Littérature étrangère

Carnets

Publiés aux Etats-Unis en 1972, les Carnets de Francis Scott Fitzgerald sont une œuvre à part entière, méconnue, et une opération sans prix, restée inabordable. Leur publication en France sera sans doute l'occasion, avec trente ans de recul, de prendre la mesure de l'avance exceptionnelle de Fitzgerald, acquise très tôt et confortée sur le front d'une guerre intime (sa femme, Zelda), économique (le krach boursier) et esthétique (la nouvelle donne hollywoodienne). Ces Carnets ont été composés entre mars 1932 et décembre 1940, date de la mort de Fitzgerald. 1932, c'est l'approfondissement de la dépression économique aux Etats-Unis et aussi l'aggravation de la dépression nerveuse de Zelda - événements qui vont affecter au plus haut point la liberté de mouvement et d'écriture de Fitzgerald. Il prend vite conscience de ces deux menaces et surtout du lien obscur, ténébreux, qui les unit. Les Carnets sont le journal de bord de cette traversée de la nuit américaine, ce faux jour du spectacle. Fitzgerald, un temps en panne ou en suspens, commence par découper des phrases dans ses vieux carnets, dans des nouvelles non publiées, dans des chapitres abandonnés, et par les rassembler dans ce nouveau carnet. Ce qu'il appelle avec malice son "livre des erreurs" s'ordonne selon un classement alphabétique, curieux alphabet de vingt-trois lettres. Des notes nouvelles viennent s'y incorporer et l'ensemble devient ainsi la sentinelle de son sommeil et de sa veille. Récit diffracté d'une décennie particulièrement sombre, où l'on peut lire bien des signes avant-coureurs de la violence à laquelle tout écrivain véritable est aujourd'hui confronté, ces Carnets permettent de découvrir des aspects occultés de la personnalité de Fitzgerald ironie, insolence, goût du libertinage, humour, intelligence extrême, insouciance, élégance, confiance sans bornes, lucidité sans pitié.

11/2002

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Ecrits sur l'art

Le corps et l'anagramme

" Avec l'avènement en 1933-1934 du fascisme en Allemagne, cessation de tout travail utilitaire. Début de la construction de la poupée. " C'est ainsi qu'Hans Bellmer décrit sa volonté d'oeuvrer à une destitution des autorités paternelles et politiques : autrement dit à un démontage et à un remontage des corps, pour tendre vers ces choses qu'il dit souhaiter le plus – " celles qu'on ignore ". Porté par un violent désir révolutionnaire, qu'il cultiva au sein de la nébuleuse surréaliste, aux côtés d'André Breton, René Magritte, Gisèle Prassinos, Unica Zürn ou Georges Bataille, ses dessins, comme ses écrits proposés dans cette édition inédite, ont tenté d'ouvrir de telles voies vers l'inconnu du corps et du langage. Pour cela, Hans Bellmer use des possibilités de décomposition de la réalité consensuelle offertes par l'expérimentation anatomique ou par l'élaboration d'anagrammes. Il procède par étranges déplacements d'organes, comme dans ses Lettres d'amour : " Pas plus petites qu'un grand oeil, tes oreilles sont les mains de l'enfant qui occupe ta tête, bercée de tes mains dont l'enfant n'est pas plus grand que toi qui m'aimes... " Les oreilles de la femme aimée font ressurgir le fantôme d'un enfant perdu, selon une technique de déplacement, de détournement, et finalement de " délivrance ", comme dit Bernard Noël. Hans Bellmer insiste là-dessus : " L'objet identique à lui-même reste sans réalité. " Sa quête graphique et littéraire vise la désarticulation et la délivrance des corps. Mais ce n'est pas seulement un Hans Bellmer théoricien ou poète surréaliste que l'on découvre au fil de ces pages. Dans ses lettres, on approche également un personnage touchant, oscillant entre tourments historiques, angoisses matérielles, et joies discrètes. Ainsi trouve-t-on trace de son intranquillité politique dans une lettre à René Magritte de novembre 1946 : " La défaillance en Europe de la race humaine que nous avons entendu appeler "la guerre" etc. — et les répercussions de cela en ma vie intime m'ont enlevé tout goût de dessiner ou d'écrire sur du papier dentelé. " Ce qui n'empêche pas des évocations d'une persévérance sereine, comme dans une lettre à Joë Bousquet de janvier 1948 : " Grâce à Monestier, j'ai un petit coin tranquille où je peux travailler en paix, sans avoir froid. – Et je suis content d'être encore dans le Midi et près de mes amis. " C'est donc un Hans Bellmer aux multiples visages que donnent à lire ses écrits ici rassemblés, incarnant l'idée que les êtres doivent être diffractés pour être vivants.

02/2023

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Littérature française

Grip

Grip est un récit qui se tisse autour de trois écuries de Formule 1, Mercedes, McLaren, Red Bull, et de leurs pilotes. Ces pilotes n'ont pas de nom, ce ne sont pas des hommes, mais certains de leurs traits sont masculins. Ce choix ne vise pas à féminiser dans l'écriture de fiction un domaine sportif encore majoritairement masculin, mais plutôt à manipuler les caractéristiques physiques et psychologiques attribuées à la virilité à travers des personnages, des situations et des descriptions. Ces pilotes ont été pensées comme des assemblages entre plusieurs pilotes actuel. les et historiques : Lewis Hamilton, Max Verstappen, Ayrton Senna, Michèle Mouton (pilote de rallye), Nigel Mansell, Alain Prost, Tatiana Calderon. A travers la F1, il s'agissait de retrouver le récit sportif, ses séries successives d'échecs, de succès, de rédemptions, de styles contrariés qu'Elsa Boyer avait déjà eu l'occasion d'explorer dans Mister du côté d'un entraîneur de football. Mais cette fois le point de vue est plus diffracté, il ne concerne pas seulement le pilote et s'articule plutôt autour de la voiture comme pivot autour duquel faire coexister les dimensions technique, humaine, psychologique et financière de la Formule 1. Grip cherche à faire tenir ensemble dans le texte les différents acteurs qui participent à une course de Formule 1, aussi bien les pilotes, les véhicules que les team manager, les mécaniciens et les ingénieurs. La technicité de la F1 était aussi une façon de renouveler le travail d'écriture et son rythme. Les ajustements constants entre le pilote et la voiture, l'association entre le groupe propulseur et le châssis, les modifications aérodynamiques imposées par le règlement, les défaillances mécaniques, le vocabulaire technique, le trio que composent le véhicule, le pilote et l'équipe sont la matrice principale à partir de laquelle expérimenter la façon de construire les personnages, le récit mais aussi la structure des phrases. Les logiques mécaniques, le vocabulaire de la ligne et de la trajectoire sont autant de manières d'écrire les émotions en les mêlant aussi bien aux états corporels qu'aux matériaux des véhicules et du circuit. En ce sens, Grip se situe entre les muqueuses et la fibre de carbone.

04/2023

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Revues de cinéma

Cahiers du cinéma N° 796, mars 2023

Dans ce numéro, nous prenons des nouvelles des cinéastes encore en pleine préparation. Pedro Almodóvar, Alain Guiraudie, Catherine Breillat, Wang Bing, Whit Stillman, Sophie Fillières et d'autres nous font la primeur de documents sur leurs films à venir. Cette incursion qui ne présume rien de l'oeuvre telle qu'elle nous reviendra une fois montée, étalonnée, distribuée, "sortie" , prolonge une rubrique récurrente dans les Cahiers depuis 2020, "Au travail" , qui donne la parole à des techniciens à l'endroit où le "métier" s'articule à l'esthétique. L'événement de ce mois de mars peut surprendre : il s'agit de la diffusion, sur Arte, de la série de Marco Bellocchio Esterno notte, parfait contrechamp à son film tourné il y a vingt ans sur l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro, Buogiorno, notte. Dans un entretien, le cinéaste revient sur son goût pour une théâtralité tantôt discrète tantôt expressionniste et la possibilité que le rythme de la série lui donne de détailler comme jamais ses personnages, diffractant les points de vue sur un traumatisme national. Nous accordons aussi une place importante à Toute la beauté et le sang versé de Laura Poitras, portrait tout aussi diffracté de la photographe Nan Goldin, figure de l'underground américain dont le militantisme ouvre davantage au collectif qu'à un art autocentré ; et nous conversons autour d'A pas aveugles, dans lequel Christophe Cognet invite à penser des photographies réalisées clandestinement au sein des camps de concentration et d'extermination, clichés inconnus pour la plupart des spectateurs de ce documentaire. C'est également une pluralité des approches qui marque la présence transversale dans nos pages de Jean-Luc Godard et de Paul Vecchiali : pour le premier, le livre composite et vivant de Nicole Brenez et ses documentaires projetés à la BPI entrent en écho avec une rétrospective consacrée à son comparse Jean-Pierre Gorin à Cinéma du Réel. Pour le second, mort le 18 janvier dernier, les souvenirs de sa capacité de travail et d'inventivité inextinguible, telle que se la remémorent ses acteurs, mis à contribution dans ce cinéma libre et "diagonal" . Les sorties réjouissantes des nouveaux films de Joanna Hogg, Clément Cogitore et Sophie Letourneur, des entretiens avec Ana Katz, Patrick Wang et Michael Roemer et deux livres importants sur deux immenses acteurs du cinéma classique complètent ce numéro.

02/2023

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Cinéma

Recherches sur Chris Marker

Chris Marker : le corps de l'ombre, l'œil du monde et la distance de la parole. Clichés pour l'amour des listes : Chris Marker le cinéaste-photographe-vidéaste-écrivain-critique-artiste multimédia. Chris Marker et ses figures : l'homme sans visage, le voyageur, l'engagé, l'épistolier, le philosophe, le créateur, le témoin, l'inventeur, l'artisan technologue. Chris Marker et ses lieux : le Japon, la Sibérie, Cuba, Pékin, Mexico, la Guinée-Bissau, la Corée, Okinawa, Paris, Bruxelles, Berlin, San Francisco, les zoos, les musées, les souterrains, les cinémathèques. Chris Marker et son bestiaire : l'homme aux chats, aux chouettes, aux éléphants, aux girafes, aux ours. Chris Marker, la mémoire, l'utopie, l'ironie, le secret, l'intelligence, la révolution, la culture, le paradoxe, l'histoire, le labyrinthe, le jeu. Chris Marker, la voix off et le commentaire, l'ici et l'ailleurs, le texte et l'image, le passé et le futur, la photo et le cinéma, l'installation vidéo et l'internet, la gravure et le CD-rom. SLON et ISKRA. La Petite Planète et la Zone. Le film d'animation, la science-fiction, le récit de voyage. Giraudoux, Michaux, Medvedkine, Godard, Tarkovski, Resnais, Kurosawa, Vertigo, Ledoux et le reste. Tout le reste, qu'on pourrait nommer, seulement nommer, qui ferait autant de pseudo-catégories, qui jouerait à la liste en un vertige d'inventaire ouvert à tous les glissements (sources de plaisirs, comme on sait). A la manière de Shônagon : " Shônagon avait la manie des listes : liste des "choses élégantes", des "choses désolantes" ou encore des "choses qu'il ne vaut pas la peine de faire". Elle eut un jour l'idée d'écrire la liste des "choses qui font battre le cœur". Ce n'est pas un mauvais critère, je m'en aperçois quand je filme. " Assurément Chris Marker est un être de passage et de métamorphoses, esprit subtil, mobile et diffracté, il est toujours ailleurs que là où l'on croit pouvoir l'approcher. On est toujours loin de lui. Mais en même temps, où qu'on soit, on le rencontre toujours, on le croise, on le retrouve, par la grâce de ce qui est autant une nécessité (naturelle ou intérieure) qu'un hasard (inobjectif). Il est nulle part et partout, insaisissable et toujours présent, comme un ange gardien ou tutélaire. Indispensable Marker, jusque dans son invisibilité. Ce numéro de Théorème rassemble une sélection de travaux de recherches effectués depuis quelques années dans le cadre de l'UFR Cinéma et Audiovisuel de l'Université Paris III.

05/2002

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Critique Poésie

Baudelaire, la modernité mélancolique

Cet ouvrage célèbre le bicentenaire de la naissance du poète et explore son oeuvre sous l'angle de l'expérience mélancolique. Epreuves corrigées de la première édition des Fleurs du mal, manuscrit autographe de Mon coeur mis à nu, estampes de Meyron, autoportrait ou encore portraits par Nadar invitent à une immersion dans l'univers du poète. Après un essai introductif d'Antoine Compagnon portant sur Baudelaire et la modernité, le prologue, présenté par Jean-Marc Chatelain, partira du rapport privilégié que Baudelaire entretenait avec la figure d'Hamlet, son double allégorique, pour explorer la mélancolie baudelairienne jusqu'à son point le plus intime. 3 axes sont proposés : l'exil et l'errance ; le souvenir et les fantômes du passé ; la déchirure mélancolique du moi. L'exil et l'errance La première partie du catalogue est consacrée au sentiment d'exil, qui constitue la donnée initiale du destin de poète de Baudelaire, vivant mal la séparation avec sa mère et atteint de " la grande Maladie de l'horreur du Domicile ". André Guyaux évoque notamment le voyage que Baudelaire effectue en 1841 aux îles Maurice et Bourbon, auquel le contraint son beau-père, le général Aupick, qui entend l'éloigner de la capitale pour lui faire passer le goût de la littérature. Jean-Marc Chatelain retrace ensuite l'histoire éditoriale des Fleurs du mal jusqu'à leur publication en 1857, à partir des épreuves corrigées par Baudelaire (dont le recueil est conservé à la Réserve des livres rares). Les fantômes de la vie antérieure Rémi Brague, dans son essai, éclaire le rapport singulier qu'entretenait Baudelaire avec le langage de l'image, lui qui se donnait pour double tâche de glorifier " le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion) " et le " vagabondage ". L'image répond fondamentalement, chez Baudelaire, à un mode de présence spectral. Ainsi en est-il des " fantômes parisiens " à la suite des démolitions orchestrées par le préfet Haussmann. Valérie Sueur, dans son essai, montre les correspondances entre les vers de l'un (notamment les " Tableaux parisiens ") et les estampes de l'autre, tel le Stryge. La déchirure mélancolique du moi Jean-Claude Mathieu, dans l'essai de la troisième et dernière partie, revient sur tous les thèmes forts du catalogue. Dans ses poèmes, Baudelaire, attentif à la vie triviale des faubourgs boueux et des rues encombrées, prend soin des " ruines ", plus bouleversantes que le nouveau Paris, des " Petites Vieilles " chétives... Dans l'oeuvre de Baudelaire comme dans sa vie, la mélancolie prend différentes formes, celle du dandysme d'une part, qui fait l'objet de l'essai d'Andrea Schellino ; celle de l'ironie de l'autre, du rire et de la caricature, qu'expose Julien Dimerman. Dans l'épilogue " Baudelaire en son miroir ", Sylvie Aubenas présentes les principaux portraits photographiques du poète comme des images diffractées de lui-même qui témoignent à leur manière de l'impossible coïncidence avec soi-même, telle que Courbet la décrit en 1848 : " Je ne sais comment aboutir au portrait de Baudelaire, tous les jours il change de figure. "

10/2021

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Beaux arts

Les Cahiers de l'Agart N° 2 : Machine

Avant-Propos au seuil du visible ses propres dispositifs discontinus : montage, déplacement, épinglage, techniques mixtes etc. : le brouillon et la bouillie. La technique s'installe dans la forme : forme et technique s'assemblent en une "bouillie" où Deleuze voyait l'action propre au dispositif. Je d irai p lutôt u ne "émulsion" : u ne p art résiduelle de la forme, proprement technique et fonctionnelle qui n'accède pas au visible, poursuit sa course au coeur de la durée processuelle : elle a une vie propre et peut donc déployer ainsi un mode d'exposition autonome, en soi. En ce sens dispositifs et machines occupent la place de "l'esquisse" à ceci près que leur destination n'est pas d'être simplement au service du projet mais de créer un lieu nouveau de l'oeuvre, entre l'oeuvre elle-même et les conditions de sa réalisation. Ils sont ainsi une "nouvelle expression artistique" , ni dessin, ni peinture, ni sculpture, ni photo, ni cinéma, mais un lieu commun à toutes ses disciplines : à la fois "machine à comprendre" (expériences de Brunelleschi) et "machine à voir" (le Modulateur spatial de Moholy-Nagy). La mémoire, par sa nature même est le modèle intégrécomplexe de tout dispositif. Sa mécanique s'exerce depuis la plus ancienne antiquité, depuis Simonide de Céos jusqu'à Giordano Bruno, dans l'art de la rhétorique. Au Moyen- Age la Machina Memorialis e st un outil e ssentiel pour la pensée théologique ou philosophique, pour l'histoire, l'art et la poésie. Elle est sans doute la raison, en grande partie perdue aujourd'hui, de ce qui dans l'enluminure trame la lettre à l'image. Le collage adopte un grand nombre de ses fonctions, articulations, découpages, ainsi que sa structure faite de couches superposées. Il est aussi contemporain de l'invention de la psychanalyse et de La Recherche du temps perdu, deux modes de réactualisation de l'ar t de la mémoire. Le collage serait un troisième mode : l'inscription de la Machina Memorialis d ans le corps d e peinture. "Méditatif : Il est (tisonne-t-on), un art, l'unique ou pur . . ". . Mallarmé, "Crayonné au théâtre" . "Le mouchage de torche est la trace charbonneuse laissée par l'homme préhistorique après avoir frotté la torche sur les parois pour enlever la partie carbonisée qui asphyxiait la f lamme et la raviver". Si le dispositif est selon Deleuze "l'unité artificielle... d'un ensemble multilinéaire" , i. e. au minimum le lien construit (imposé par décision ou s'imposant de lui-même, par sa nature) entre au moins deux effets diffractés à partir d'une source commune, ne faudrait-il pas voir dans le "mouchage" le paradigme du dispositif pictural : une marque laissée sur une paroi de grotte avec la seule intention de ranimer le tison, et perçue dans un second temps comme trace, c'est-à-dire comme déjà du dessin ? Et si le dessin, tout au long de l'histoire, éclaire à sa manière, par la distinction des formes, c'est qu'il conserve en lui à travers son outil, le fusain et sa trace charbonneuse à la surface de la paroi, la mémoire du feu dont il est une mutation. A l'autre bout de l'histoire Matisse renouvelle la scène primitive dans une chambre, qui est une sorte de grotte, où, alité, on le voit tracer au plafond les figures de ses petits-enfants à l'aide d'un fusain attaché à une perche. On voit un même phénomène inaugural, la terre et l'eau pour médium cette fois, avec les traces de doigts creusant l'argile molle des parois de la grotte : d'abord une empreinte de la main posée accidentellement puis par insistance et répétition, par plaisir, le glissement de l'index dans l'épaisseur de la matière molle, poussant en avant et abandonnant sur ses bords le léger relief qui comme un talus ou les rives d'un ruisseau encadre sa marche en avant au but indécis. On retrouve ce doigt errant avec Miss Froy dessinant son nom dans la buée d'une vitre de wagon-restaurant. Ce nom -fantôme, apparaissant ou disparaissant selon le degré d'humidité ou de ventilation de la pièce est l'objet énigmatique de Lady vanishes d'Hitchcock. Le dispositif minimum conserve la "multilinéarité" qui a présidé à sa construction : il est maintenant le pivot de récits multiples que seule la résolution de l'énigme va réunir en un seul. Sans doute aussi la parole a erré longtemps dans le labyrinthe des sons purs et des onomatopées, jusqu'au Livre de Mallarmé. Face à ces dispositifs minimums fondamentaux et quasi originaires, à portée de mains, le collage introduit, historiquement et stratégiquement, une complexité maximale qui pulvérise la traditionnelle et antique unité et homogénéité du geste pictural en laissant affleurer

06/2019